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cent à se replier vers le rivage pour former le golfe ; il faisait dresser des tentes formées du tissu le plus fin. C’était là que du palais prétorial, ancienne résidence du roi Hiéron, il se dérobait à tous les regards. Nul ne pouvait pénétrer dans cette retraite, à moins d’être le compagnon ou le ministre de ses débauches. Là se rassemblaient toutes les femmes avec lesquelles il entretenait un commerce habituel, et le nombre en était incroyable à Syracuse ; là se rendaient aussi tous les hommes qu’il jugeait dignes de son amitié, dignes de partager sa table et ses plaisirs. C’est au milieu d’une telle société que vivait son fils, déjà dans l’âge des passions, sans doute afin que, si la nature l’avait formé sur un autre modèle que son père, l’habitude et l’éducation le forçassent à lui ressembler. Là aussi fut introduite la courtisane Tertia, que Verrès avait enlevée adroitement à un musicien de Rhodes. Il paraît qu’elle causa dans le camp les plus grands troubles. C’était pour l’épouse du Syracusain Cléomène et pour celle d’Eschrion (19), toutes deux nobles et de bonne maison, un cruel sujet de dépit de voir la fille du mime Isidore admise dans leur société. Mais notre moderne Annibal (20), qui n’admettait dans son camp que la supériorité du mérite, et non celle de la naissance, a pris cette Tertia en si grande affection, qu’il l’emmena avec lui quand il quitta la province.

XIII. C’est ainsi que Verrès passait toute la saison, en manteau de pourpre, en tunique flottante, à table, au milieu de ses femmes ; et le public était loin de se plaindre. On souffrait sans peine que le préteur ne parût point dans le forum ; qu’il n’y eût ni audiences, ni jugemens rendus ; que tout le rivage retentît du chant de ses