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choisissiez à dessein cette place, pour que cet homme qui se disait citoyen romain, pût, du haut de sa croix, apercevoir l’Italie, et reconnaître sa maison ? Aussi, juges, depuis la fondation de Messine, cette croix est la seule qu’on ait plantée en cet endroit. Il voulut, dis-je, qu’elle fût en perspective de l’Italie, pour que le malheureux, expirant dans les plus cruels tourmens, mesurât des yeux l’espace étroit qui séparait la liberté de la servitude, et que l’Italie vît un de ses enfans subir l’épouvantable supplice réservé aux esclaves.

Enchaîner un citoyen romain est un crime ; le battre de verges, un forfait ; lui donner la mort est presque un parricide : mais l’attacher à une croix (106) ! Il n’existe point d’expression assez forte pour caractériser un fait aussi exécrable ; et cependant toutes ces horreurs ne suffisent pas à Verrès. — Qu’il contemple sa patrie, dit-il ; qu’il meure à la vue des lois et de la liberté ! Non, ce n’est point Gavius, non, ce n’est point un seul homme, non, ce n’est point un individu quelconque qu’il attachait à cette horrible croix, mais la liberté, mais la république entière. Juges, concevez-vous toute l’audace du scélérat ? Son seul regret, ne le voyez-vous pas ? a été de ne pouvoir dresser cette croix pour tous les citoyens romains, dans le forum, au milieu des comices, sur la tribune. Il a choisi du moins dans sa province la place qui ressemble le plus au lieu le plus fréquenté de Rome par l’affluence du peuple, et qui en est la plus voisine par sa position. Il a voulu que ce monument de sa scélératesse et de son audace fût érigé sous les yeux de l’Italie, à l’entrée de la Sicile, sur le passage de tous ceux qui de l’un à l’autre bord navigueraient dans ces parages.