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rassemble le peuple romain, ne retomber jamais ici sous le pouvoir des lois et des tribunaux ?

LVI. Mais pourquoi cette fureur de répandre le sang ? quel motif l’excitait à tant de crimes ? Aucun autre, juges, que de mettre en pratique un système de brigandage extraordinaire et nouveau. Les poètes nous représentent des brigands postés à l’entrée des golfes (88), sur des promontoires ou sur des roches escarpées, afin de massacrer les navigateurs jetés sur leurs côtes. Ainsi Verrès, de toutes les parties de la Sicile, promenait au loin sur la mer ses avides regards. Dès qu’un vaisseau arrivait de l’Asie, de la Syrie, de Tyr, d’Alexandrie, ou de quelque autre lieu, ses agens s’en emparaient ; à l’instant tout l’équipage était jeté pêle-mêle dans les carrières.— Et la cargaison, les marchandises ? — On les portait au palais du préteur. Ainsi, après tant de siècles (89), la Sicile se retrouvait en proie à la rage, non pas d’un autre Denys, d’un second Phalaris, car cette île fut long-temps féconde en tyrans féroces ; mais d’un monstre de la nature de ceux qui, dans les siècles antiques, avaient ravagé cette malheureuse contrée. Non, je ne crois point que Charybde et Scylla aient été dans leur détroit plus terribles aux nautonniers. Verrès se faisait d’autant plus redouter, qu’il avait autour de sa personne des chiens (90) beaucoup plus nombreux et bien autrement robustes. Nouveau Cyclope, mais cent fois plus malfaisant que le premier, il occupait l’île entière. L’autre, du moins, n’occupait que l’Etna et la partie de la Sicile qui environne cette montagne.

De quel prétexte enfin colorait-il son affreuse cruauté ? Du même que son défenseur ne manquera pas d’alléguer. Tous ceux qui abordaient en Sicile avec quelques richesses,