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dit le traducteur Clément[1], que, sur le point de finir, Cicéron ramasse toutes les preuves qui lui étaient échappées. Il a déjà beaucoup parlé des faveurs injustes accordées par Verrès aux Mamertins, de ce navire de charge dont ils firent présent à l’accusé ; l’orateur y revient encore. Peut-être le morceau où il peint la manière dont lui-même s’est conduit dans sa questure, est-il sinon déplacé, du moins un peu long. L’orateur doit toujours être court quand il parle de lui. Cependant, en cet endroit, on peut croire que Cicéron parlait moins par vanité que par l’ambition d’obtenir de nouveaux honneurs, en montrant combien dans la possession des premiers il avait justifié la confiance du peuple romain. »

On peut le dire, une telle déclaration de principes de la part de l’orateur n’avait rien d’oiseux ni de forcé : ce n’était pas un lieu commun. La situation relative de Cicéron et de Verrès, l’état de corruption de la république, la rendaient nécessaire. « Ce scélérat de Verrès, dit encore Dussault, avait un parti très-considérable dans Rome ; il était défendu par le fameux Hortensius ; il pouvait faire de très-jolis cadeaux ; et l’influence des présens n’agissait pas avec moins d’empire sur la rhétorique des orateurs anciens, que sur celle de nos orateurs et de nos écrivains. Ce qu’il y a d’assez plaisant, c’est que Verrès disait publiquement dans Rome, et avec une pleine assurance, qu’il avait fait trois parts des trois années de son gouvernement : une pour lui, la seconde pour ses avocats, et la troisième pour ses juges. Il donnait de grands dîners pendant l’instruction de son procès, et les plus illustres personnages de Rome s’y rendaient très-volontiers : on le louait sur l’excellente chère qu’il faisait à ses hôtes, sur la délicatesse de son goût, et particulièrement sur la magnificence de sa vaisselle. Presque tous ceux qui avaient eu des gouvernemens faisaient cause commune avec lui : la bonne compagnie s’épuisait en sarcasmes contre Cicéron, contre cet homme nouveau qui s’avisait d’écouter les plaintes de la populace sicilienne, et de tracasser un homme comme il faut, dont la maison était ornée des statues les plus délicieuses, et à qui l’on ne pouvait reprocher qu’un goût trop vif pour

  1. On sait que c’est à compter de la Verrine De suppliciis que Clément se chargea de la traduction des oraisons de Cicéron, commencée par Desmeuniers. (Voyez ma Notice sur M. Gueroult, t. VI.)