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d’une âme passionnée ; et ici il se montre aussi adroit que pathétique. Car (et nous laissons encore parler un autre traducteur de Cicéron[1]), « S’il est possible que les autres crimes du préteur trouvent grâce devant un tribunal corrompu, du moins cet exécrable attentat ne restera pas impuni. Cicéron déclare que l’accusé, que les juges et ceux qui les auront corrompus, seront traduits par lui au tribunal du peuple romain. Son édilité va commencer ; et, dès qu’il entrera en fonctions, il usera du droit que lui donne sa nouvelle magistrature. Il convoquera l’assemblée ; et du haut de la tribune il accusera Verrès et ses complices, et il appellera sur eux la vengeance de la nation entière, intéressée à les punir. S’il n’a pas manqué d’ardeur, de fermeté, de persévérance contre Verrès, dont il n’est l’ennemi que parce que Verrès est l’ennemi des Siciliens, qu’on s’attende à trouver en lui plus de chaleur encore et plus d’énergie contre des hommes dont il aura bravé la haine pour l’intérêt du peuple romain. Il tâchera de mériter de plus en plus la confiance et les suffrages de ses concitoyens, par la fermeté qu’il oppose à l’orgueil et aux mépris des nobles, par le courage avec lequel il déclare une guerre éternelle aux méchans, par son respect pour les lois, et son dévouement pour les intérêts et la gloire du peuple. »

Il termine, cette harangue par une invocation aux différentes divinités dont Verrès avait profané, dépouillé les temples, ou enlevé les statues. Quelle idée plus neuve et plus ingénieuse pour une péroraison dont le style est d’ailleurs si plein d’éclat et d’entraînement ? « Cette dernière partie tout entière, dit M. Gueroult jeune dans la leçon déjà citée, excite encore tellement l’horreur et la pitié, que tous les rhéteurs et tous les hommes de goût l’ont regardée généralement comme le chef-d’œuvre de l’éloquence latine[2]. »

Cependant, il faut en convenir, quelques beautés que présente ce plaidoyer, il n’a pas été à l’abri de la critique. Le plan n’est pas aussi net, aussi bien suivi que dans les autres Verrines. « Il semble,

  1. M. Gueroult l’ainé, Introduction de la Verrine De suppliciis.
  2. C’est à la Verrine De signis que Truffer donne la préférence. « On ne quitte point Un objet chéri, dit-il, sans être tenté de jeter les yeux en arrière pour en jouir encore un moment. Tel est l’effet que produit sur moi le discours que l’on vient de lire. Il me semble si parfait, que seul il suffirait, à mon gré, pour dévouer l’affreux préteur à l’exécration des siècles. »