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moment, il fait entrer ses amis, et demande devant eux à chaque capitaine combien il avait de matelots. Ceux-ci répondent conformément à la recommandation qui venait de leur être faite. Il dresse acte de leur déclaration, et, en homme prévoyant, le fait sceller du cachet de ses amis, comptant que, dans le cas d’une accusation, il pourrait, au besoin, user de cette pièce justificative. Il est à croire que ses conseillers lui firent sentir le ridicule de cette démarche, et l’avertirent qu’elle ne lui serait d’aucune utilité ; que même cet excès de précaution de la part d’un préteur ne pouvait qu’aggraver les soupçons. Déjà il avait employé plusieurs fois ce misérable expédient, et même il lui arrivait souvent de faire inscrire ou biffer officiellement ce qu’il voulait sur les registres publics ; mais il reconnaît enfin que de pareilles pièces ne peuvent lui servir, aujourd’hui que des actes, des témoins, des autorités irrécusables mettent ses crimes en évidence.

XL. Quand il vit que son procès-verbal ne lui serait d’aucun secours, il prit son parti, je ne dis pas en magistrat inique, ce qui serait du moins supportable, mais en tyran atroce et forcené. Il se persuada que, pour atténuer une inculpation dont il pensait bien qu’il ne pourrait entièrement se justifier, il fallait faire mourir tous les capitaines témoins de son crime. Mais une réflexion l’arrêtait : que faire de Cléomène ? comment punir ceux à qui j’ai ordonné d’obéir, et absoudre celui que j’ai chargé de commander ? comment envoyer au supplice des hommes qui ont suivi Cléomène, et faire grâce à Cléomène qui leur a enjoint de le suivre dans sa fuite ? comment user de rigueur envers des officiers qui n’avaient que des vaisseaux dégarnis, sans défense, et traiter avec indulgence