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TUSCULANES, LIV. II.

homme persuadé que la douleur est le plus grand des maux. J’y trouve quelque contradiction. Mais écoutons. Une douleur extrême, continue-t-il, est nécessairement courte. Répétez un peu, car je n’entends pas bien ici ce que c’est, ni qu’extrême, ni que court. J’appelle extrême, ce qu’il y a de plus violent ; court, ce qui dure très-jieit. Or je méprise une douleur violente, dont un court espace de temps me délivrera, presque avant qu’elle soit venue. Mais si c’est une douleur comparable à celle de Philoctète ? Elle me parait bien vive, mais non pas extrême, car il ne souffre que d’un pied. Les yeux, la tête, les côtés, les poumons, tout le reste se porte bien. Ainsi sa douleur n’est pas extrême, à beaucoup près. Et dans une douleur de longue durée, conclut Épicure, il y a moins de peine que de plaisir,.le n’ose dire qu’un si grand homme n’a su ce qu’il disait : mais ce que j’en pense, c’est qu’il se moquait de nous. Une douleur peut très-bien, ce me semble, être des plus violentes, et n’être pas courte. Je l’appellerai extrême, quand même il y en aurait une autre, dont la violence irait à dix atomes de plus. Quantité d’honnêtes gens, que je pourrais nommer, sont depuis plusieurs années horriblement tourmentés de la goutte. Mais telle a été l’adresse d’Épicure, qu’il n’a fixé ni grandeur, ni durée : en sorte qu’on ne sait, ni ce que c’est qu’extrême à l’égard de la douleur, ni ce que c’est que court à l’égard du temps. Ainsi laissons ce diseur de riens : et quoique lui-même tourmenté de la colique et de la strangurie tout à la fois, il ait donné quelques signes de courage ; avouons qu’un homme persuadé que la douleur est de tous les maux le plus grand, n’est pas propre à nous enseigner l’art de In supporter. Adressons-nous donc ailleurs, et donnons la préférence, il est juste, à ceux qui comptent l’honnête pour le souverain bien, et le honteux pour le souverain mal. Vous n’oserez en leur présence vous plaindre, vous agiter : car la vertu elle-même vous parlant par leur bouche,

XX. Quoi ! dirait-elle, vous aurez vu les enfants à Sparte, les jeunes gens à Olympie, les barbares dans l’arène, recevoir en silence les coups les plus douloureux ; et vous à la moindre piqûre, vous crierez comme une femme ? Vous n’aurez ni fermeté ni patience’? Je ne puis, direz-vous : la nature s’y oppose. Mais des enfants même le peuvent, une infinité de gens le font, les uns animés par l’honneur, les autres contenus par la honte, ou par la crainte : et ce qui se pratique si communément, vous le croirez opposé à la nature ? Il l’est si peu, que non-seulement la nature vous le permet, mais elle vous le demande ; car il n’y a rien à quoi elle se porte avec plus d’ardeur, qu’à ce qui est honnête et louable. Rien, qui réponde si parfaitement à ses vœux, que ce qui est un écoulement de la vertu, ou la vertu même : et si je ne l’appelais pas le souverain bien, ce serait pour l’appeler le bien unique. Rien, au contraire, qui soit plus odieux, plus méprisable, plus indigne de l’homme, que ce qui est honteux. Vous qui pensez ainsi, puisque dès l’entrée de ce discours vous avez reconnu que l’ignominie l’emportait sur la douleur, vous n’avez donc plus qu’a vous commander à vous-même. J’avoue que c’est une manière de parler singulière, et qui