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CICÉRON.

ne poussent-ils point la constance ? Pour peu qu’ils sachent bien leur métier, n’aiment-ils pas mieux recevoir un coup, que de l’esquiver contre les règles ? On voit que ce qui les occupe davantage, c’est le soin de plaire, et à leur maître, et aux spectateurs. Tout couverts de blessures, ils envoient demander à leur maître s’il est content : que s’il ne l’est pas, ils sont prêts à tendre la gorge. Jamais le moindre d’entre eux a-t-il, ou gémi, ou changé de visage ? Quel art dans leur chute même, pour en dérober la honte aux yeux du public ? Renversés enfin aux pieds de leur adversaire, s’il leur présente le glaive, tournent-ils la tête ? Voilà ce que l’exercice, la réflexion et l’habitude ont de pouvoir. Quoi donc,

Un Samnite, un coquin, le dernier des mortels,

pourra s’élever à ce degré de courage ? et il y aura dans le cœur d’un homme né pour la gloire, un endroit si faible, que ni raison ni réflexion ne puissent le fortifier ? Quelques personnes traitent d’inhumanité le spectacle des gladiateurs : et je ne sais si, tel qu’il est aujourd’hui, on ne doit pas effectivement le regarder ainsi. Mais lorsque des criminels étaient seuls employés à ces sortes de combats, il ne pouvait y avoir, du moins pour les yeux, une école ou l’on apprit mieux à mépriser la douleur et la mort.

XVIII. J’ai parlé de l’exercice, de la coutume, et des ressources que l’esprit trouve en lui-même. Voyons ce qu’y ajoute le raisonnement : à moins que vous n’ayez quelque objection à me faire. L’a. Que je vous interrompe, moi ? J’en serais bien fâché : tant votre discours me semble persuasif. C. Rechercher si la douleur est un mal, ou non, c’est l’affaire des Stoïciens, qui veulent nous prouver la négative par de petits arguments entortillés, où il n’y a rien de palpable. Pour moi, sans entrer dans cette question, je ne pense pas que la douleur soit tout ce qu’on la croit : il me parait que l’on a là-dessus des idées fausses, outrées : et je soutiens qu’il est possible à qui le voudra, de supporter quelque douleur que ce soit. Par où commencer à le prouver ? Vous rappellerai-je d’abord en peu de mots, pour amener la suite de mon discours, le principe que j’ai déjà établi ? Qu’il est d’un homme courageux, magnanime, patient, supérieur a tout événement humain, de supporter constamment la douleur ; que telle est l’opinion, je ne dis pas seulement des savants, mais des ignorants ; et que personne au monde n’a jamais douté qu’un homme qui souffrait de la sorte, ne méritât d’être loué. Puisqu’on attache donc tant de gloire à la patience, qu’elle fait essentiellement le caractère d’une âme forte ; n’est-il pas honteux, ou que l’on craigne de se trouver dans l’occasion de la pratiquer, ou que l’on en manque, l’occasion étant venue ? Remarquez même, qu’entre toutes les perfections de l’àme il n’y a proprement que le courage, à qui le nom de vertu appartienne, si l’on s’en rapporte à l’étymologie. Or c’est par le mépris de la mort, et de la douleur, que le courage doit principalement se montrer. Voulons-nous être vertueux ? ou, pour mieux dire, voulons-nous être hommes, Qu’à l’égard de ces deux objets, notre courage opère donc.

XIX. Mais, me direz-vous, comment ? Vous avez raison de m’en demander le secret, puisque la philosophie fait profession de l’enseigner. Voici d’abord ce que vous en apprendrez d’Épicure, le meilleur homme du monde, et qui vous dira tout ce qu’il fait de mieux. Regardez, dit-il, /a douleur comme rien. Hé ! qui parle ainsi ? Un