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CICÉRON.

d’un homme occupé, et d’un guerrier, tel qu’était alors Pyrrhus, j’avoue que ce peu même qu’il sait, ne laisse pas de lui être souvent d’un faraud secours ; et qu’il en retire des avantages, non pas tels que les produirait une parfaite connaissance de la philosophie, mais qui suffisent pour le délivrer, au moins en partie, des maux que la cupidité, que le chagrin, que la crainte seraient capables de lui causer. Par exemple, depuis notre dernière conférence de Tusculum, la mort m’a paru ne mériter qu’un grand mépris : et ce mépris ne contribue pas peu à nous tranquilliser l’âme. Car de craindre une chose inévitable, c’est ne pouvoir de sa vie compter sur un moment de repos. Au lieu qu’en regardant la mort, non-seulement comme nécessaire, mais comme une chose qui d’elle-même n’a rien de terrible, on se ménage par là une puissante ressource pour vivre heureux. Je n’ignore cependant pas que bien des gens prendront à tâche de me contredire..Mais pour n’en pas courir les risques, je n’avais qu’un moyen ; ne point écrire du tout. Par mes Oraisons même, où je me proposais de plaire à la multitude, parce qu’en effet l’Éloquence, qui est un art populaire, a pour but l’approbation des auditeurs, j’ai éprouvé combien les jugements du public étaient partagés. Il se trouvait de ces esprits, qui sont disposés à ne louer que ce qu’ils croient pouvoir imiter ; et qui prennent les bornes de leurs talents pour les bornes de l’art. Je les accablais par une profusion de pensées, et d’expressions. Ils eussent mieux aimé, disaient-ils, un style décharné et affamé, que tant de fécondité et d’abondance. Voilà d’où sortit cette secte de prétendus Attiques, qui ne savaient pas eux-mêmes ce que c’est qu’atticisme, et qui, ayant été presque siffles en plein ban-eau, ont pris enfin le parti de se taire. Que n’ai-je donc pas à craindre, lorsque je m’engage dans un genre d’écrire, ou le peuple, sur qui j’avais a compter pour le succès de mes Oraisons, ne peut m’être bon à rien ? Car il ne faut a la philosophie, qu’un petit nombre de juges ; et c’est à dessein qu’elle fuit la multitude, à qui elle est tellement suspecte, tellement odieuse, que si quelqu’un veut la bjûmcr en général, et sans restriction, il aura sûrement le peuple pour approbateur ; et qu’en particulier, si l’on veut attaquer la secte à laquelle je me suis principalement attaché, on y sera encore aidé par les partisans de toutes les autres sectes. J’ai répondu dans mon Hortensius à ceux qui se déclarent contre toute philosophie en général.

II. Et je crois n’avoir point mal développé dans mes quatre livres Académiques, ce qu’il y avait à dire pour la défense de l’Académie. Mais enfin, bien loin de trouver étrange qu’on écrive contre moi, c’est au contraire ce que je souhaite passionnément. Jamais la philosophie n’aurait été si fort en honneur parmi les Grecs, sans l’éclat que lui attiraient les disputes et les altercations de leurs savants. Ainsi j’exhorte tous ceux qui en sont capables, à enlever jusqu’à cette sorte de mérite à la Grèce, ou présentement tout languit. Qu’ils transportent ici la Philosophie, comme nos ancêtres ont travaillé à y transporter les autres arts, qui leur paraissaient utiles : et comme nous avons vu l’éloquence, dont les commencements furent si faibles parmi nous, y arriver à un si haut point de perfection, que déjà, selon le cours naturel de presque toutes choses, elle décline, et va bientôt, ce me semble, retomber dans le néant. Pour hâter donc les progrès de la philosophie, qui commence seulement à naître dans Rome, donnons