Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/658

Cette page n’a pas encore été corrigée
650
CICÉRON.

les morts, et les gardent dans leurs maisons. Les Perses les enduisent de cire, pour les conserver le plus qu’ils peuvent. Les Mages n’enterrent les leurs qu’après les avoir fait déchirer par des bêtes. En Hyrcanie on croit que d’être mangé par un chien, c’est le tombeau le plus honorable. Ils ont pour cet effet une espèce particulière de chiens, dont ils font grand cas. Les riches en nourrissent chez eux pour leur personne, il y en a de nourris pour le commun au. frais du public ; et chacun, selon ses facultés, pourvoit à ce qu’il soit déchiré après sa mort, Chrysippe, qui se plaisait fort aux recherches historiques, parle de quantité d’autres coutumes semblables, mais parmi lesquelles il s’en trouve de si vilaines, que j’aurais horreur de les rapporter. On voit donc par tout ce que J’ai dit, que nous n’avons point à nous inquiéter de nos funérailles. Mais d’un autre côté aussi, nous ne devons pas négliger celles de nos proches, quoique les morts ne sachent point ce qui se fait pour eux. C’est aux vivants à regarder ce qu’ils doivent en pareil cas à la bienséance, et à la coutume ; persuadés que c’est leur affaire propre, et que les morts n’y sont intéressés en rien. Quant aux mourants, ce leur est une ressource bien consolante, que le souvenir d’une belle vie. En quelque temps que meure un homme qui a toujours fait tout le bien qu’il a pu, il n’a point à se plaindre de n’avoir pas vécu assez. Pour moi, je me suis vu en diverses conjonctures, où ma mort se fût placée bien à propos : et plût à Dieu qu’elle n’eût pas tardé à venir ! Je ne pouvais m’acquérir une plus haute réputation ; j’avais rempli tous les devoirs de la société ; il ne me restait qu’à combattre la fortune. Aujourd’hui donc, si ma raison n’a pas la force de m’aguerrir contre la mort, je n’ai qu’à me remettre devant les yeux ce que j’ai fait, et je trouverai que ma vie n’aura pas été trop courte, à beaucoup près. Car enfin, quoique l’anéantissement nous rende insensibles, cependant la gloire qu’on s’est acquise est un bien dont il ne nous prive pas : et quoiqu’on ne recherche point la gloire directement pour elle-même, elle ne laisse pas pourtant de marcher toujours a la suite de la vertu, comme l’ombre à côté du corps. Il est bien vrai que quand les hommes s’accordent unanimement à louer les vertus d’un mort, ces louanges font plus d’honneur à ceux qui les donnent, qu’elles ne servent à la félicité de celui qui en est l’objet.

XLVI. Mais après tout, de quelque manière qu’on l’entende, je ne saurais dire qu’aujourd’hui Lycurgue et Solon n’aient pas la gloire d’avoir été de grands législateurs : que Thémistocle et qu’Épaminondas n’aient pas celle d’avoir été de grands guerriers. Plutôt Salamine sera ensevelie dans la mer, qu’on ne perdra le souvenir de la victoire remportée à Salamine : et plutôt la ville de Leuctres sera détruite, que la bataille de Leuctres ne tombera dans l’oubli. Des noms encore plus durables, sont ceux de Curius, de Fabricius, de Calatinus, des deux Scipions, des deux Africains, de Maximus, de Marcellus, de Paulus, de Caton, de Lélius, et de bien d’autres Romains. Quiconque sera parvenu à retracer en soi quelques-unes de leurs vertus, et non pas dans l’esprit du peuple, mais au jugement des sages, il n’a, si l’occasion s’en présente, qu’a marcher d’un pas intrépide à la mort, persuadé que mourir est le souverain bien, ou que du moins ce n’est pas un mal. Il souhaitera même d’être surpris au milieu de ses prospérités, parce que le plaisir de les accroître ne saurait être aussi vif pour lui, que le chagrin qu’il risque d’en dé-