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TUSCULANES, LIV. I.

perez d’aujourd’hui, que je n’aie dissipé absolument tout ce qui peut vous faire craindre la mort. L’a. Par où la craindrais-je, après ce que vous venez de m’apprendre ? C. Par où ? Eh ! ne se présente-t-i ! pas une foule de contradicteurs ? Vous n’avez pas seulement les Epicuriens, qui, selon moi, ne sont point à mépriser : quoique tous nos savants, je ne sais pourquoi, les regardent en pitié. Vous avez un auteur dont je suis charmé, Dicéarque, qui combat vivement l’immortalité de l’àme dans les trois livres qu’il appelle Lesbiaques, parce que Mytilène dans l’île de Lesbos est la scène de son dialogue. Pour les Stoïciens, ils prétendent que nos âmes ne vivent iue comme des corneilles : longtemps, mais non pas toujours.

XXII. Voulez-vous donc voir que, même en supposant l’âme mortelle, la mort n’en deviendrait pas redoutable ? L’a. Volontiers : mais quelque chose qu’on puisse dire contre l’immortalité de l’âme, on ne me dissuadera pas. C..le vous en loue. Cependant ne comptons point trop sur notre fermeté. Quelquefois, il ne faut pour nous renverser, qu’un argument un peu subtil. Dans les questions même les plus claires, nous hésitons, nous changeons d’avis. Or, celle dont il s’agit entre nous, n’est pas sans quelque obscurité. De peur donc d’être surpris, ayons nos armes toujours prêtes. L’A. Précaution sage ; mais cet accident ne m’arrivera pas, j’y mettrai ordre. C. Quant à nos amis les Stoïciens, avons-nous tort d’abandonner ceux d’entre eux qui disent que les âmes subsistent encore quelque temps au sortir du corps, mais qu’elles ne subsistent pas éternellement ? Ils accordent d’une part ce qu’il y a de plus difficile, que l’âme, quoique séparée du corps, peut subsister : et d’autre côté, ils ne veulent pas que l’âme puis.se subsister toujours. De ces deux points, non-seulement le dernier est aisé à croire, mais il suit naturellement du premier. L’a. Vous dites vrai, les Stoïciens n’ont rien à répliquer. C. Que penser donc de Panétius, qui se révolte ici contre Platon, après l’avoir partout ailleurs appelé divin, très-sage, très-saint, l’Homère des philosophes ? Il ne rejette de toutes ses opinions, que celle de l’immortalité, et il appuie la négative sur deux raisons. L’une, que la ressemblance des enfants aux pères, ressemblance qui se remarque non-seulement dans les traits, mais encore dans l’esprit, fait voir que les âmes sont engendrées ; d’où il conclut que les âmes sont mortelles, parce que tout être qui a été produit, doit être détruit, comme tout le monde en convient. L’autre, que tout ce qui peut souffrir, peut aussi être malade : que tout ce qui est malade, est mortel : et que par conséquent les âmes, puisqu’elles peuvent souffrir, ne sont pas immortelles.

XXXIII. À l’égard de cette dernière preuve, elle porte à faux. Il ne prend pas garde que Platon, lorsqu’il fait l’âme immortelle, parle de l’intelligence, qui n’est pas susceptible d’altération, et qui est, selon Platon, entièrement séparée des autres parties, que les passions et les infirmités attaquent. Pour la ressemblance, sur quoi il fonde son premier argument, c’est dans l’âme des bêtes, qui n’est pas raisonnable, qu’elle se fait le mieux sentir. D’homme à homme, elle n’est guère que corporelle. Mais en cela même elle a du rapport à l’âme, parce qu’il n’est pas indifférent l’âme d’être dans un corps disposé et organisé de telle ou de telle façon. Les organes et le tempérament contribuent fort à la rendre ou plus vive, ou plus lourde. Aristote dit que la