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TUSCULANES, LIV. I.

Les fontaines bondir ;
L’herbe tendre renaître ;
Le pampre reparaître ;
Les présents de Cérès emplir nos magasins,
Et les tributs de Flore enrichir nos jardins ;

quand nous voyons que la terre est peuplée d’animaux, les uns pour nous nourrir, les autres pour nous vêtir ; ceux-ci pour traîner nos fardeaux, ceux-là pour labourer nos champs ; que l’homme y est comme pour contempler le ciel, et pour honorer les Dieux ; que toutes les campagnes, toutes les mers obéissent à ces besoins ;

XXIX. Pouvons-nous à la vue de ce spectacle, douter qu’il y ait un être, ou qui ait formé le monde, supposé que, suivant l’opinion de Platon, il ait été formé ; ou qui le conduise et le gouverne, supposé que, suivant le sentiment d’Aristote, il soit de toute éternité ? Or de même qu’aux ouvrages d’un Dieu, vous jugez de sou existence, quoiqu’il ne vous tombe pas sous les sens : de même, quoique votre cime ne soit pas visible, cependant la mémoire, l’intelligence, la vivacité, toutes les perfections qui l’accompagnent, doivent vous persuader qu’elle est divine. Mais, encore une fois, ou réside-t-elle ? Je la crois dans la tête, et j’ai des raisons pour la croire là. Mais enfin, quelque part qu’elle soit, il est certain qu’elle est dans vous. Qu’elle est sa nature ? Je lui crois une nature particulière et qui n’est que pour elle. Mais faites-la de feu ou d’air, peu importe ; pourvu seulement que, comme vous connaissez Dieu, quoique vous ignoriez et sa demeure et sa figure, vous tombiez d’accord que oUs devez aussi connaître votre âme, quoique vous ignoriez et où elle réside, et comment elle est faite. Cependant, à moins que d’être d’une crasse ignorance en physique, on ne peut douter que l’âme ne soit une substance très-simple, qui n’admet point de mélange, point de composition. Il suit de là que lame est indivisible, et par conséquent immortelle. Car la mort n’est autre chose qu’une séparation, qu’une désunion des parties, qui auparavant étaient liées ensemble. Pénétré de ces principes, Socrate, au point d’être condamné à mort, ne daigna, ni faire plaider sa cause, ni se montrer devant les juges en posture de suppliant. Il conserva une fierté, qui venait, non d’orgueil, mais de grandeur d’âme. Le jour même de sa mort, il discourut longtemps sur le sujet que nous traitons. Peu de jours auparavant, maître de s’évader de sa prison, il ne l’avait point voulu. Et dans le temps qu’on allait lui apporter le breuvage mortel, il parla, nou eu homme à qui l’on arrache la vie, mais en homme qui monte au ciel.

XXX. « Deux chemins, disait-il, s’offrent aux âmes, lorsqu’elles sortent des corps. Celles qui, dominées et aveuglées par les passions humaines, ont à se reprocher, ou des habitudes criminelles, ou des injustices irréparables, prennent un chemin tout opposé à celui qui mène au séjour des Dieux. Pour celles qui ont, au contraire, conservé leur innocence et leur pureté ; qui se sont sauvées, tant qu’elles ont pu, de la contagion des sens ; et qui, dans des corps humains, ont imité la vie des Dieux, le chemin du ciel, d’où elles sont venues, leur est ouvert. On a consacré les cygnes à Apollon, parce qu’ils semblent tenir de lui l’art de connaître l’avenir ; et c’est par un effet de cet art, que, prévoyant de quels avantages la mort est suivie,