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CICÉRON.

la gloire des pères, c’est que les enfants fassent vivre la sienne.

Qu’on ne me rende point de funèbres hommages,
Je deviens immortel par mes doctes ouvrages,

dit-il encore. Mais à quoi bon parier des poëtes ? il n’est pas jusqu’aux artisans, qui n’aspirent a l’iraniortalité. Phidias n’ayant pas la liberté d’écrire son nom sur le bouclier de Minerve, y urava son portrait. Kl nos philosophes, dans les livres même qu’il ; composent sur le mépris de la gloire, n’y mettent-ils pas leur nom ? Puis donc que le consentement de tous les hommes est la voix de la nature, et que tous les hommes, en quelque lieu que ce soit, conviennent qu’après notre mort, il y a quelipie chose qui nous intéresse, nous devons aussi nous rendre a cette opinion : et d’autant plus qu’entre les hommes, ceux qui ont le plus d’esprit, le plus de vertu, n qui par conséquent savent le mieux où tend la nature, sont précisément ceux qui se donnent le plus de mouvement pour mériter l’estime de la postérité.

XVI. Mais comme l’impression de la nature se borne à nous apprendre l’existence des Dieux, et qu’ensuite, pour découvrir ce qu’ils sont, nous avons besoin de raisonner : aussi le consentement du tous les peuples ne va ([u’à nous enseigner l’immortalité des âmes, mais nous ne saurions qu’à l’aide du raisonnement découvrir ce qu’elles sont, et où elles résident. Tarée qu’on l’ignorait, on a imaginé des enfers, avec tous ces objets formidables, que vous paraissiez tout à l’heure mépriser si justement. On se persuadait que les cadavres ayant été inhumés, les morts allaient pour toujours vivre sous la terre. C’est ce qui donna lieu à ces grossières erreurs, que les poètes ont bien fortifiées. Une assemblée nombreuse, toute pleine de femmes et d’enfants, ne tient point contre la peur, lorsqu’au théâtre on fait ronfler ces grands vers :

À travers les horreurs ih : la nuit infernale,
J’arrive en ce séjour, par un affreux dédale
De rocs entrecoupés, d’antres fuligineux.
De profondes forêts et de monts caverneux.

On avait même poussé l’erreur jusqu’à un excès dont il me semble qu’on est revenu aujourd’hui. Car nos anciens croyaient qu’un mort, dont le cadavre avait été brûlé, ne laissait pas de faire dans les enfers ce qu’absolument on ne peut faire qu’avec un corps. Ils ne pouvaient pas comprendre une âme subsistante par elle-même, ils lui donnaient une forme, une figure. I-^t de la toutes ces histoires de morts dans Homère. De la cette Nécromancie de mon ami Appius. De là, dans mon voisinage, ce lac d’Averne

Où l’art qui commande aux morts.
Va, de leurs demeures sombres,
Évoquer les pâles Ombres,
Vaines images des corps.

Images, qui, à ce qu’on croyait, ne laissaient pas de parler : comme s’il était possible d’articuler sans langue, sans palais, sans gosier, et sans poumons. Autrefois on ne pouvait rien voir mentalement ; on ne connaissait que le témoignage des yeux. Il n’appartient en effet qu’à un esprit sublime, de se dégager des sens, et de se rendre indépendant du préjugé. Les siècles antérieurs à Phérécyde n’ont pas été, apparemment, sans quelques esprits de ce caractère, qui auront bien compris que l’âme était immortelle. IMais de tous ceux dont il nous reste des écrits, Phéréeyde est