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TUSCULANES, LIV. I.

l’âme tire son origine. Il ne croit pas que penser, que prévoir, apprendre, enseigner, inventer, se souvenir, aimer, haïr, désirer, craindre, s’affliger, se réjouir, et autres opérations semblables, puissent être l’effet des quatre éléments ordinaires. Il a donc recours à un cinquième principe, qui n’a pas de nom ; et il donne à l’âme un nom particulier, qui signifie a peu près mouvement sans discontinuation et sans fin.

XI. Telles sont, autant que je me les rappelle, les diverses opinions, qui ont été avancées sur ce sujet. Je passe à dessein celle d’un grand homme, Démocrite, qui prétend que l’âme se forme par je ne sais quel concours fortuit de corpuscules unis et ronds : car, selon lui, il n’est rien que les atomes ne fassent. Or de toutes ces opinions, il n’y a qu’un Dieu qui puisse savoir quelle est la vraie. Pour nous autres hommes, nous ne sommes pas peu embarrassés à démêler la plus vraisemblable. Voulez-vous que je m’arrête à en faire l’examen, ou que j’en revienne à notre proposition ? L’a. Je voudrais fort l’un et l’autre, mais il est difficile d’embrasser tout cela ensemble. Si vous pouvez, sans entrer dans cette discussion, me guérir de la crainte que j’ai de la mort, n’allons pas plus loin. Ou, s’il faut auparavant savoir à quoi s’en tenir sur l’essence de l’âme, voyons-le présentement. Une autre fois le reste viendra. C. Je vois lequel vous plairait davantage, et ce m’est aussi le plus commode : car de toutes les opinions que j’ai rapportées, quelle que soit la véritable, il s’ensuivra toujours que la mort, ou n’est point un mal, ou plutôt est un bien. Prenons effectivement que l’âme soit ou le cœur, ou le sang, ou le cerveau. Tout cela étant partie du corps, périra certainement 627

avec’le reste du corps. Que l’âme soit d’air, cet air se dissipera. Qu’elle soit de feu, ce feu s’éteindra. Que ce soit l’harmonie d’Aristoxène, cette harmonie sera déconcertée. Pour Dicéarque, puisqu’il n’admet point d’âme, il est inutile que j’en parie. Apres la mort, selon toutes ces opinions, il n’y a plus rien qui nous touche, car le sentiment se perd avec la vie. Or, du moment qu’on ne sent plus, il n’y a plus de risque r. courir. Quant aux autres opinions, elles n’ont rien qui ne flatte vos espérances : supposé qu’il vous soit doux de croire qu’un jour votre cime peut aller dans le ciel, comme dans sa véritable patrie. L’a. Oui sans doute, j’aime a le croire, et je souhaite ne point me tromper : mais cette opinion fût-elle fausse, je saurais gré à qui me la persuaderait. C. Pour cela qu’avez-vous besoin de moi ? Puis-je surpasser l’éloquence de Platon ? Voyez ce qu’il a écrit de l’âme, pesez-le bien, vous n’aurez rien de plus à désirer. L’a. Je l’ai lu, et plus d’une fois. Pendant que je suis à ma lecture, je sens, à la vérité, qu’elle me persuade. Mais du moment que j’ai quitté le livre, et que je rêve en moi-même à l’immortalité de l’âme, il m’arrive, je ne sais comment, de retomber dans mes doutes. C. Voyons. Avouez-vous que les âmes, ou subsistent après la mort, ou périssent à l’instant de la mort ? L’a. Assurément, l’un des deux. C. Et si elles subsistent ? L’a. J’avoue qu’elles seront heureuses. C. Et si elles périssent ? L’a. Qu’elles n’auront point à souffrir, puisqu’elles n’existeront point. À l’égard de ce dernier article, vous m’avez mis, il y a un moment, dans la nécessité d’en convenir. C. Par ou donc trouvez-vous que la mort puisse être un mal, puisque, si les âmes sont immortelles, a la mort nous deve-