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CICÉRON.

tique. Et en mettant le souverain bien dans la volupté, premièrement il s’est fort trompé ; en second lieu, il n’a rien dit qui lui fût propre, car Aristippe avait soutenu cette doctrine avant lui, et mieux que lui. Enfin vous avez ajouté que c’était un ignorant. — Il est impossible, repris-je, Triarius, que lorsqu’on diffère de sentiment avec quelqu’un, on ne manque ce qu’on ne peut approuver chez lui ; car qui m’empêcherait d’être épicurien, si j’adoptais toutes les opinions du maître, qu’il est si facile d’apprendre en se jouant ? Il ne faut donc pas trouver mauvais que ceux qui discutent ensemble, parlent l’un contre l’autre pour se réfuter. Ce sont les injures, les invectives, les emportements, la trop grande vivacité et l’opiniâtreté sans frein qu’il faut bannir de la dispute et qui me semblent indignes de la philosophie. — Vous avez raison, dit Torquatus ; il n’y a pas de discussion sans critique ; tout comme il n’y a pas de bonne discussion, lorsque l’emportement et l’opiniâtreté s’y mêlent. Mais, si vous le trouvez bon, j’aurais quelque chose à répondre à ce que vous avez dit. — Croyez-vous donc, lui répliquai-je, que j’eusse parlé comme j’ai fait, si je n’avais eu envie de vous entendre ? — Eh bien, dit-il, voulez-vous que nous parcourions toute la doctrine d’Épicure, ou que nous parlions seulement de la volupté qui est le principal sujet de la controverse ? — À votre choix, lui répondis-je. — Je le veux bien : je ne développerai alors qu’une seule partie de la doctrine, mais la plus importante de toutes ; nous remettrons à une autre fois ce qui regarde la physique, et je me fais fort de vous prouver la déclinaison des atomes, et la grandeur du soleil, telle qu’Épicure la suppose, et de vous faire voir qu’il a repris et réforme très-sagement beaucoup de choses dans Démocrite. Quant à présent, je ne parlerai que de la volupté, et sans rien dire de fort nouveau, je ne laisse pas d’espérer que vous finirez par être de mon sentiment. — Je vous assure, lui répondis-je, que je ne serai point opiniâtre, et que je me rendrai volontiers, si vous pouvez me persuader. — Je le ferai, ajouta-t-il, pourvu que vous demeuriez dans l’équitable disposition que vous témoignez. Mais j’aimerais mieux parler de suite que de faire des questions ou d’y répondre. — Comme il vous plaira. — Il entra alors ainsi en matière.

IX. Je commencerai par me conformer à la méthode d’Épicure, dont je vais expliquer la doctrine : j’établirai d’abord en quoi consiste précisément le sujet de nos recherches, non pas que je pense que vous ne le sachiez très-bien, mais afin de procéder avec ordre. Nous cherchons donc quel est le dernier et le plus parfait des biens ; et du consentement de tous les philosophes, il faut que ce soit celui auquel tous les autres biens doivent se rapporter et qui ne se rapporte à aucun autre. À ces traits Épicure reconnaît la volupté qu’il prétend être le souverain bien, ajoutant que la douleur est le plus grand des maux ; et voici comment il s’y prend pour le prouver. Tout animal, dès qu’il est né, recherche la volupté dont il jouit comme d’un bien excellent, redoute la douleur comme le plus grand des maux et la fuit autant qu’il le peut ; et tout cela il le fait lorsque la nature n’a pas encore été corrompue en lui et qu’il peut juger le plus sainement. On n’a donc pas besoin de raisonnement ni de preuves pour démontrer que la volupté est à rechercher et la douleur à fuir. Cela se sent comme on sent que le feu est chaud, que la neige est blanche et que le miel est doux ; il