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CICÉRON.

d’un mouvement de déclinaison le plus léger possible, par le moyen duquel les atomes venant à se rencontrer, s’accrochent ensemble, et composent l’univers et toutes ses parties. Et cependant avec cette fiction puérile, il n’atteint nullement le but qu’il se propose, car il introduit tout à fait arbitrairement cette déclinaison, dont il n’allègue aucune cause ; et rien n’est plus honteux pour un physicien que de recevoir des effets sans cause ; d’un autre côté, il ôte aux atomes, également sans cause, le mouvement naturel et direct de haut en bas, qu’il avait établi dans tous les corps ; et cependant avec toutes les suppositions qu’il invente, il ne peut venir à bout de ce qu’il prétend. Car si tous les atomes ont le même mouvement de déclinaison, jamais ils ne s’attachent ensemble ; que si les uns ont ce mouvement, et les autres suivent la ligne droite, d’abord c’est leur donner de différents emplois à crédit, que d’assigner un mouvement direct aux uns et un oblique aux autres, outre qu’avec tout cela il ne laissera pas d’être impossible que cette rencontre tumultueuse des atomes, qui est la pierre d’achoppement de Démocrite lui-même, produise jamais l’ordre et la beauté de l’univers. Il est d’ailleurs indigne d’un physicien de croire qu’il existe des particules indivisibles ; jamais Épicure n’aurait eu cette vision s’il eût mieux aimé apprendre la géométrie de Polyène, son ami, que de la lui faire désapprendre. Démocrite, qui était instruit et habile en géométrie, croit que le soleil est d’une grandeur immense ; Épicure lui donne environ deux pieds, et pense que sa véritable grandeur est telle qu’elle nous paraît, ou peut-être un peu plus ou un peu moins considérable. Ainsi donc, toutes les nouveautés qu’il apporte sont insoutenables ; le reste de son système est du Démocrite pur ; c’est de lui qu’il a pris les atomes, le vide, les images ou espèces sensibles qui, nous venant frapper, causent non-seulement nos perceptions, mais toutes nos pensées ; c’est de lui aussi qu’il a reçu cette infinité qu’ils nomment ἀπειρίαν et cette innombrable multitude de mondes qui naissent et périssent à toute heure. Et quoique je n’approuve nullement ces imaginations-là dans Démocrite, je ne puis souffrir qu’un homme qui les a toutes prises de lui, se fasse le censeur d’un si beau génie que tout le monde admire.

VII. Quant à la logique, qui est la seconde partie de la philosophie et nous apprend l’art des recherches et la conduite du raisonnement, votre Épicure, ce me semble, est extrêmement vide et faible. Il supprime les définitions, il n’enseigne ni à distinguer, ni à diviser, ni à tirer une conclusion, ni à résoudre un argument captieux, ni à lever les ambiguïtés des termes ; enfin, il fait les sens juges de tout, et tient que si seulement une fois ils prenaient l’erreur pour la vérité, il n’y aurait plus aucun moyen de distinguer le vrai du faux. Il soutient avec beaucoup de force que la nature ne recherche que la volupté et ne craint que la douleur, et c’est à ces deux mobiles qu’il rapporte tout ce que nous devons poursuivre et fuir. Cette doctrine est d’Aristippe, et elle a été bien mieux soutenue et avec plus de vraisemblance par les cyrénaïques que par Épicure. Cependant rien ne me paraît plus indigne d’un homme qu’une pareille opinion, et la nature, à ce qu’il me semble, nous a créés et formés pour quelque chose de plus grand ; mais au fond il se peut faire que je me trompe. Je ne puis croire pourtant que celui qui mérita le premier le nom