Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/461

Cette page n’a pas encore été corrigée

présentant absolument aucune différence, et que ceux-là même sont innombrables ; qu’il en est, sous ce rapport, des hommes comme des mondes. Vous demandez alors que puisque deux mondes peuvent être exactement pareils, à ce point qu’il n’y ait pas même entre eux la plus légère différence, on vous accorde qu’il y ait aussi dans notre monde des objets tellement semblables qu’on ne puisse trouver la moindre différence entre eux. Pourquoi, dites-vous, tandis que ces atomes, qui, selon Démocrite, donnent naissance à tout, peuvent produire et produisent en effet dans les autres mondes, dont le nombre est infini, un nombre infini de Q. Lutatius Catulus ; pourquoi, dans le monde si vaste, que nous habitons, un autre Catulus ne pourrait-il pas se rencontrer ?

XVIII. D’abord, vous me parlez au nom de Démocrite dont je récuse l’autorité ; je veux au contraire vous opposer celle de bien meilleurs physiciens qui prouvent évidemment que chaque chose a ses propriétés particulières. Imaginez ces deux anciens Servilius, frères jumeaux, aussi ressemblants qu’on ledit ; pensez-vous pour cela qu’ils aient été identiquement les mêmes ? On ne savait les distinguer dehors, mais on le savait chez eux ; les étrangers ne l’auraient pu, mais les leurs le pouvaient. L’expérience ne nous prouve t-elle pas que ceux dont nous n’aurions jamais pensé pouvoir discerner les traits, nous deviennent avec l’habitude si facilement reconnaissables, que leur ressemblance finit par s’évanouir à nos yeux ? Contestez, si vous voulez, je ne discuterai pas ; j’accorderai que le sage, qui fait l’objet de tout cet entretien, retiendra son jugement, lorsque des objets semblables dont il n’aura pas une connaissance exacte se présenteront à ses yeux ; et que jamais il ne se fiera à d’autre représentation qu’à celle dont on ne peut craindre que l’erreur prenne les traits il a pour les cas ordinaires une certaine méthode qui lui apprend à distinguer le vrai du faux ; et quant à ces ressemblances, l’habitude est tout ce qu’il faut. Une mère sait bien distinguer ses deux enfants jumeaux, habituée qu’elle est à les voir ; avec de l’exercice, vous y parviendrez comme elle. Vous savez combien les œufs se ressemblent dans le proverbe ? Cependant nous avons appris qu’à Délos (du temps que cette île florissait) certains individus nourrissaient un grand nombre de poules pour en faire le commerce, et à la simple inspection d’un œuf savaient dire quelle poule l’avait pondu. Vous voyez donc que cette ressemblance ne prouve rien contre nous ; car il nous suffit qu’on puisse distinguer ces œufs les uns des autres. Il est vrai que pour moi je ne puis prononcer avec certitude que c’est bien là tel œuf, pas plus que s’il n’y avait entre eux tous aucune différence ; car j’ai pour règle de ne juger vraie une apparence que lorsqu’il est impossible qu’elle soit fausse : et je ne puis m’écarter de cette règle d’une seule ligne, comme on dit ; sans quoi je confondrais tout. Car non-seulement la connaissance, mais même l’essence du vrai et du faux est anéantie, s’il n’y a point de différence entre eux ; et c’est dire une absurdité que de prétendre comme vous le faites parfois, que, lorsque les représentations s’impriment sur l’esprit, ce n’est pas entre les impressions mêmes que vous contestez qu’il y ait des différences, mais entre les apparences, et, si on peut le dire, les figures