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SECONDES ACADÉMIQUES.

sent d’un faux jugement de notre esprit, et la mère commune de toutes les maladies de l’âme, c’est un certain dérèglement de la volonté sortie des gonds. Voilà à peu près toute sa doctrine sur les mœurs.

XI. Dans la philosophie naturelle, il pensait d’abord qu’il ne fallait point ajouter aux quatre éléments des choses ce cinquième principe dont les anciens voulaient que les sens et l’esprit fussent composés. Le feu, selon lui, était cette nature qui engendre tout, et en particulier l’esprit et les sens. Il différait d’eux encore, en ce qu’il pensait qu’on ne peut attribuer aucune puissance affective à une nature tout à fait incorporelle ; car c’est ainsi que Xénocrate et les philosophes anciens avaient défini l’âme ; mais il soutenait qu’aucun être ne pouvait produire ou être produit qui ne fût un corps. Il fit surtout beaucoup d’innovations dans la troisième partie de la philosophie. Il y dit d’abord plusieurs choses nouvelles touchant les sens dont l’exercice, selon lui, était déterminé par l’impulsion extérieure de ce qu’il nomme φαντασίαν, et que nous pouvons appeler représentation : retenons cette expression, car elle nous sera fort utile dans la suite du discours. À ces objets aperçus, et en quelque façon reçus par les sens, correspond l’affirmation de l’esprit, affirmation qu’il prétend être en notre puissance et dépendre de notre volonté. Cet assentiment n’est pas accordé à toutes les représentations, mais à celles-là seules qui dénotent, par un certain tour exact, leur correspondance aux objets réels qu’elles font connaître. Une telle représentation, considérée en elle-même, est ce qu’il nommait le compréhensible. Me passerez-vous cette expression ? — Certainement, dit Atticus. Par quel autre terme pourriez-vous traduire κατάληπτον ? Mais reçue et approuvée par l’esprit, elle devenait la compréhension, parce que nous la possédions alors comme ces objets que la main a saisis ; c’est même dans cette similitude qu’il faut chercher l’origine d’une expression que personne, avant Zénon, n’avait employée dans un tel sujet ; il se servit d’ailleurs de beaucoup de mots nouveaux, car il apportait des idées nouvelles. Ce qui avait été saisi par les sens, s’appelait sensation ; et si la compréhension était assez forte pour que la raison n’eût point de prise sur elle, c’était la science ; sinon, l’incertitude, d’où naissait l’opinion, dont le caractère est la faiblesse, et qui ressemble beaucoup à l’ignorance et à l’erreur. Entre la science et son opposé, il plaçait cette compréhension dont je parlais, qu’il déclarait n’être, de sa nature, ni bonne ni mauvaise, mais dont il faisait l’unique fondement de notre créance. C’est pourquoi il maintenait l’autorité des sens, dont les perceptions, comme je l’ai dit, lui paraissaient vraies et fidèles ; non pas quelles fussent une représentation complète de leur objet, mais parce qu’elles comprenaient exactement tout ce qui pouvait entrer en elles, et parce que la nature nous les avait données comme un type de science et un premier linéament d’elle-même, d’où les notions des choses pussent sortir ensuite et se graver dans l’esprit. Ces notions ne nous apprennent pas seulement quels sont les éléments du monde, mais nous ouvrent des routes bien plus larges pour en connaître le vrai système. Quant à l’erreur, aux préjugés, à l’ignorance, aux opinions, aux soupçons, en un mot à tous les modes de connaissance qui ne sont pas la ferme et inébranlable conviction, Zénon les regarde comme inconciliables avec la vertu et la