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IX. Ce qui vous reste à faire, c'est de donner à la république une constitution durable, et de jouir vous-même du calme et du repos que vous lui aurez assurés : voilà ce qui doit couronner vos travaux, et quel doit être le terme de vos efforts. Alors, quitte envers la patrie et rassasié d'années, dites, si vous voulez, que vous avez assez longtemps vécu. Assez longtemps ! pouvons-nous parler ainsi d'une durée si courte, et dont le terme anéantit tous les plaisirs passés, puisqu'ils sont alors finis sans retour ? Mais quoi ! votre grande âme se resserra-t-elle jamais dans ces bornes étroites que la nature a marquées à la vie de l'homme ? Non, elle brûla toujours du désir de l'immortalité. Pour César, la vie n'est pas cet instant fugitif pendant lequel l'âme est unie au corps ; la vie, pour César, est cette existence qui se perpétuera par le souvenir de tous les siècles, qui se prolongera dans les âges les plus reculés, et qui n'aura d'autres limites que l'éternité même. C'est pour cet avenir qu'il faut travailler ; c'est à lui qu'il faut montrer votre gloire. Dès longtemps vous avez assez fait pour qu'il admire ; il attend aujourd'hui que vous le forciez à louer vos bienfaits.

Certes, vos commandements, vos provinces, le Rhin, l'Océan, le Nil, domptés par vos armes, vos combats sans nombre, vos incroyables victoires, la magnificence do vos monuments, de vos fêtes et de vos triomphes, étonneront la postérité. Mais, si Rome n'est pas affermie par la sagesse de vos lois et de vos institutions, votre nom errant, pour ainsi dire, dans toutes les parties du monde, n'aura jamais une demeure fixe, un domicile assuré. Ceux qui vivront après nous seront partagés comme nous l'avons été : les uns élèveront vos exploits jusqu'aux cieux ; les autres regretteront de n'y pas voir la chose la plus essentielle peut-être, si, en sauvant la patrie, vous n'éteignez l'incendie de la guerre civile ; et ils diront que le reste a pu être l'ouvrage du destin, tandis que cette gloire n'aurait appartenu qu'à vous.

Travaillez donc pour ces juges qui, dans la suite des âges, prononceront sur vous avec plus d'équité que nous ne le pouvons faire, parce que l'amour et la faveur, la haine et la jalousie n'influeront nullement sur leurs suffrages. Dussiez-vous même alors, ainsi que le prétendent certains sophistes, être insensible à tout ce qu'on dira de vous, au moins il vous importe aujourd'hui de mériter une gloire que le temps n'obscurcira jamais.

X. Les citoyens ont été divisés de volontés et de sentiments ; et ce n'a pas été seulement une lutte d'opinions et de passions opposées. On s'est armé ; on s'est rangé sous des étendards ennemis. Un voile épais cachait la vérité ; des chefs illustres se combattaient ; et, dans ce désordre extrême, justice, intérêt, devoir, droits même, tout était obscur et incertain. La république est délivrée de cette horrible guerre : la victoire est demeurée à celui dont la colère, loin d'être enflammée par le succès, devait être fléchie par la clémence, et qui n'a pas jugé dignes de l'exil ou de la mort ceux qui l'avaient irrité. Les uns ont déposé les armes, les autres ont été désarmés par la force. Garder un cœur armé lorsqu'on n'a plus rien à craindre des armes, c'est joindre l'injustice à l'ingratitude. Celui qui a péri sur le champ de bataille en se sacrifiant pour sa cause est bien plus digne d'excuse ; car ce que les uns nom-