vos soupçons ; par là nous redoublerons votre vigilance. Mais est-il un homme assez étranger aux affaires, et qui réfléchisse assez peu sur son propre intérêt et sur celui de la patrie, pour ne pas comprendre que son existence est attachée à la vôtre, et que de la vie de César dépend la vie de tous les citoyens ? Moi qui me fais un devoir de m'occuper de vous et le jour et la nuit, je ne redoute pour vous que les accidents de l'humanité, les dangers des maladies et la fragilité de notre nature ; et je frémis quand je songe que de l'existence d'un seul mortel dépend le destin d'un empire fondé pour l'éternité. Si aux accidents humains et aux dangers des maladies venaient se joindre encore les crimes et les complots, quel dieu, quand il le voudrait, pourrait secourir la république ?
VIII. César, c'est à vous seul qu'il appartient de relever toutes les ruines de la guerre, de rétablir les tribunaux, de rappeler la confiance, de réprimer la licence, de favoriser la population, enfin de réunir et lier ensemble par la vigueur des lois tout ce que nous voyons dissous et dispersé. Dans une guerre civile aussi acharnée, dans une telle agitation des esprits, quel que dût être le succès, il était inévitable que la république ébranlée ne vit s'écrouler plusieurs des soutiens de sa gloire et de sa puissance, et que les deux chefs ne fissent, étant armés, ce qu'ils auraient empêché de faire dans un état de calme et de paix. Il faut aujourd'hui cicatriser les plaies de la guerre, et nul autre que vous ne peut les guérir.
Aussi vous ai-je entendu avec peine prononcer ces mots pleins de grandeur et de philosophie : "J'ai assez vécu, soit pour la nature, soit pour la gloire. "Oui, peut-être assez pour la nature ; assez même, si vous le voulez, pour la gloire : mais la patrie, qui est avant tout, vous avez certes trop peu vécu pour elle. Laissez donc aux philosophes ce stoïque mépris de la mort ; n'aspirez pas à une sagesse qui nous serait funeste. Vous répétez trop souvent que vous avez assez vécu pour vous. Moi-même j'applaudirais à cette parole, si vous viviez, si vous étiez né pour vous seul. Aujourd'hui vos exploits ont remis en vos mains le salut de tous les citoyens et la république entière ; et loin d'avoir achevé le grand édifice du bonheur public, vous n'en avez pas encore assuré les fondements. Et c'est en ce moment que vous mesurerez la durée de vos jours, non sur le besoin de l'État, mais sur la modération de votre âme l Que dis-je ? avez-vous même assez vécu pour la gloire ? tout philosophe que vous êtes, vous ne nierez pas que vous ne l'aimiez avec passion.
Eh bien ! direz-vous, laisserai-je peu de gloire après moi ? Beaucoup, César, et même assez pour plusieurs autres ensemble, mais trop peu pour vous seul. Quelque grande que soit la carrière qu'on a parcourue, c'est peu de chose, s'il reste encore un plus long espace à parcourir. Si, vous bornant à triompher de vos adversaires, vous laissez la république dans l'état où elle est ; si telle doit être l'unique fin de tant d'actions immortelles, prenez garde que votre héroïque valeur n'ait plutôt excité l'admiration que mérité la gloire ; car enfin la gloire est une renommée éclatante et sans bornes, acquise par de grands et de nombreux services rendus aux siens, à sa patrie, à l'humanité entière.