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rentra en lui-même, quoique avec peine ; il agit contre son ami Clodius, d’abord par feinte, ensuite malgré lui ; enfin, il combattit pour Pompée de bonne foi et avec chaleur. Durant le spectacle de cette lutte, le peuple romain fut aussi impartial qu’un maître d’escrime en voyant combattre deux gladiateurs : il trouvait un égal avantage à ce que l’un des deux pérît, et un profit immense à ce qu’ils périssent tous deux. Cependant Gabinius agissait pour la bonne cause : il soutenait l’autorité d’un grand homme. C’était un scélérat, c’était un gladiateur ; mais il combattait contre un scélérat, contre un gladiateur comme lui. Mais toi, homme sans doute religieux et scrupuleux, tu n’as point voulu rompre le traité que tu avais signé de mon sang, en faisant un pacte pour les provinces ; car cet incestueux adultère ne s’était engagé à te donner une province, une armée, de l’argent qu’il avait arraché des entrailles de la république, qu’à condition que tu te rendrais le complice et le ministre de tous ses crimes. Aussi, quel tumulte dans Rome ! les faisceaux d’un consul furent brisés, le consul lui-même fut frappé ; on voyait tous les jours des traits et des pierres voler, des citoyens prendre la fuite ; enfin on saisit auprès du sénat un homme armé d’un poignard, et qu’on savait y avoir été posté pour assassiner Pompée.

[13] XIII. Te vit-on jamais faire, je ne dis pas quelque démarche, quelque rapport, mais le moindre discours, la plus légère plainte ? Crois-tu avoir été consul, lorsque, sous ton gouvernement, celui qui, de concert avec le sénat, avait sauvé la république, n’a pu rester même en Italie ; lorsque celui qui, par trois victoires éclatantes, nous avait assujetti des nations dans les trois parties du monde, n’a pu paraître en public avec sécurité ? Etiez-vous consuls, toi et Gabinius, lorsque vous ne pouviez rien proposer, rien rapporter au sénat, que tout l’ordre ne se récriât, et ne déclarât que vous n’agiteriez aucune affaire, sans avoir auparavant rapporté la mienne ? lorsque, malgré le traité qui vous liait à Clodius, vous annonciez de bonnes intentions, en alléguant l’obstacle de sa loi ? Une loi qui aux yeux des particuliers n’en était pas une, une loi gravée par la violence, prescrite par des esclaves, imposée par des brigands ; dans un temps où le sénat était anéanti ; les gens de bien, chassés du forum ; la république, asservie : une loi portée contre toutes les lois et sans aucune forme : dire qu’on respecte cette loi, n’est-ce pas être indigne, non seulement du titre de consul, mais encore de toute mention dans les fastes de la république ? En effet, si vous ne regardiez pas comme loi un acte contraire à toutes les lois, une violence tribunitienne, une proscription des biens et de la personne d’un citoyen non condamné, non dégradé, et que cependant vous fussiez arrêtés et retenus par le traité fait avec Clodius, doit-on vous regarder, non seulement comme des consuls, mais même comme des hommes libres, vous dont un intérêt sordide et un vil salaire ont asservi la pensée, ont enchaîné la langue ? Que si vous seuls reconnaissiez pour loi l’acte le plus illégal, doit-on croire ou que vous étiez alors consuls, ou que vous êtes présentement des consulaires, vous qui ignorez les lois, les usages, les règlements d’une ville où vous prétendez tenir le premier rang ? Vous a-t-on jugés consuls lorsque, revêtus de l’ha-