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DISCOURS SUR LA RÉPONSE DES ARUSPICES.

DISCOURS TRENTIÈME.


ARGUMENT.

Quelque temps après le retour de Cicéron, différents prodiges répandirent l’effroi dans Rome. Une statue de Junon, qui regardait l’orient, se tourna tout à coup vers le nord. Un loup entra dans la ville. Plusieurs citoyens furent frappés de la foudre. Des bruits souterrains et des cliquetis d’armes se firent entendre aux portes de Rome. Il n’en fallut pas davantage pour effrayer un peuple superstitieux. Le sénat consulta les aruspices. Ils répondirent que les jeux publics avaient été négligés, et les lieux saints profanés et souillés ; qu’on avait massacré des ambassadeurs, violé la foi des serments, profané les plus saints mystères ; que les dieux irrités annonçaient à Rome ce qu’elle avait à craindre de la discorde des grands ; que si la colère du ciel n’était apaisée par de justes expiations, les provinces tomberaient au pouvoir d’un seul, les armées de la république seraient détruites, et les maux deviendraient irréparables. La haine de Clodius ne laissait échapper rien de ce qui pouvait nuire à Cicéron. Il convoque le peuple, et soutient que Cicéron seul est désigné par la voix du ciel ; que ces lieux sacrés dont parlent les aruspices ne peuvent être que le terrain de sa maison consacrée à la Liberté, et qu’il fait rebâtir pour son usage ; et, le nommant l’oppresseur, le tyran de la république, il le dévoue à la colère des dieux, et le charge de tous les maux dont Rome est menacée. Dès le lendemain, dans l’assemblée du sénat, Cicéron répondit à Clodius. Ce Discours fui prononcé l’an de Rome 697 sous le consulat de Lentulus Marcellinus et de Philippe.


I. Pères conscrits, dans notre séance d’hier, la dignité de cette assemblée, et la présence de ce grand nombre de chevaliers romains admis dans cette enceinte, m’ont tellement affecté, que j’ai cru devoir réprimer l’inconcevable impudence de Clodius, lorsque, par les interpellations les plus absurdes, il nous empêchait de discuter la cause des fermiers publics, et que, dévoué aux intérêts de Publius Tullion, il cherchait, même sous vos yeux, à se faire valoir auprès du Syrien à qui il s’était vendu tout entier. Pour arrêter ce furieux, il m’a suffi de nommer les tribunaux, et deux mots de la loi ont abattu toute la fougue de ce terrible gladiateur. Cependant, comme il ne connaissait pas encore quel est le caractère de nos consuls, il s’est élancé brusquement du sénat, pâle de colère, forcené de rage, et proférant certaines menaces, désormais vaines et impuissantes, mais dont il nous effrayait dans le temps de Pison et de Gabinius. Je me mis en devoir de le suivre, et je reçus la plus douce des récompenses, lorsque je vis les sénateurs se lever tous avec moi, et les fermiers de l’État l’entourer de leur cortège. Mais tout à coup le lâche , perdant son audace, sans couleur, sans voix, s’arrêta, se retourna, puis, au seul aspect du consul Lentulus, il resta presque anéanti à la porte de la salle, effrayé sans doute de ne plus voir auprès de lui ni son cher Pison, ni son fidèle Gabinius. Que dirai-je de son audace et de sa fureur éffrénée ? Servilius en a fait justice sur le lieu même : je ne puis rien ajouter aux paroles énergiques de ce vertueux citoyen ; et me fût-il possible d’atteindre à cette force, à cette véhémence singulière et presque divine, je ne doute pas que des traits partis de la main d’un ennemi