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préparé. Je n’ai donc jamais cesse d’être citoyen ; et moins que jamais, alors que le sénat confiait mes jours, comme ceux d’un grand citoyen, à la garde des nations étrangères : tandis que toi, tu ne l’es pas même aujourd’hui ; à moins cependant que l’on ne puisse être à la fois citoyen et ennemi. Est-ce la nature et l’origine, et non pas plutôt l’esprit et les actes qui distinguent, selon toi, un citoyen d’un ennemi ? Tu as couvert de sang le forum ; tu as fait occuper les temples par des brigands armés ; les maisons privées, les édifices sacrés ont été par toi livrés aux flammes. Pourquoi nommer Spartacus un ennemi, si tu es un citoyen ? Comment serais-tu un citoyen, toi qui pour un temps as anéanti la cité ? Et tu m’appelleras exilé, moi dont l’absence a paru à tous l’exit même de la république ! O le plus insensé des hommes ! tu ne jetteras donc jamais les yeux sur toi ? Tu ne songeras donc jamais ni à ce que tu fais, ni à ce que tu dis ? Tu ne sais donc pas que l’exil est le châtiment des crimes, et que mes belles actions seules m’ont poussé hors de Rome ? Tous les brigands et les sacrilèges dont tu te vantes d’être le chef, et que les lois condamnent à l’exil, sont autant d’exilés, lors même qu’ils n’ont point changé de lieu ; et toi, qu’exilent toutes les lois, tu ne seras point un exilé ? N’appelle-t-on point ennemi celui que l’on surprend en armes ? on a surpris ton poignard à la porte du sénat. Celui qui a commis un meurtre ? tu en as commis un grand nombre. L’auteur d’un incendie ? c’est ta main qui a mis le feu au temple des Nymphes. Celui qui envahit de force un lieu consacré ? tu as campé dans le forum. Mais à quoi bon énumérer les lois ordinaires qui te condamnent toutes à l’exil ? Ton meilleur ami a fait rendre contre toi une loi spéciale pour t’exiler si tu pénétrais dans le sanctuaire de la Bonne Déesse. Mais tu te vantes toi-même d’y avoir pénétré. Comment donc, expulsé par tant de lois, ne trembles-tu pas au seul nom d’exil ? Je suis à Rome, dis-tu. Tu as bien été dans le sanctuaire. Il ne suffit pas d’être dans un lieu pour en avoir les privilèges, lorsque l’on en est exclu par les lois.

Ve PARADOXE.

Que le sage seul est libre, et que hors de la sagesse il n’y a qu’esclavage.

I. Que l’on vante ce général, qu’on lui prodigue ce titre, et qu’on l’en croie digne ; mais de quelle façon ? À quel homme libre commandera celui qui ne peut commander à ses passions ? Qu’il les réprime d’abord, qu’il méprise les voluptés, retienne sa colère, mette un frein à son avarice, ferme les autres plaies de son âme, et qu’il commence à commander aux autres, alors que lui-même aura cessé d’obéir à ces abominables maîtres, la turpitude et l’opprobre. Tant qu’il leur obéira, non seulement ce ne sera pas un général, mais on ne devra même pas le tenir pour un homme libre. C’est là une fort belle doctrine des philosophes, dont je n’invoquerais pas l’autorité si je parlais à des ignorants ; mais comme je ne m’adresse ici qu’à des esprits parfaitement cultivés, et à qui ces spéculations ne sont pas étrangères, pourquoi feindrais-je d’avoir perdu toutes les peines que j’ai consacrées à ce genre d’études ? De très habiles gens ont donc déclaré, qu’à l’exception du sage, personne n’est libre en ce monde. Qu’est-ce en effet que la liberté ? Le pouvoir de vivre comme