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style coupé qui distribue le discours en membres, comme disent les Grecs, et en parties indépendantes.

— Alors Brutus : Malheureusement, dit-il, les louanges que vous prodiguez à ces deux orateurs me donnent quelques regrets : pourquoi n’avons-nous d’Antoine que ce petit traité de l’art oratoire, et que n’a-t-il plu à Crassus d’écrire davantage ? Ils auraient au moins laissé au public un monument de leur génie, et à nous des modèles d’éloquence. Quant à Scévola, nous connaissons assez, par les discours qui restent de lui, l’élégance de son style. — Vous demandez des modèles, repris-je ; pour moi, le discours où Crassus soutient la loi de Cépion, m’en a servi dès mon enfance. Avec quel art il sait relever l’autorité du sénat, à la défense duquel cette harangue est consacrée, et rendre odieuse la faction des juges et des accusateurs, dont il lui fallait combattre, le pouvoir sans nuire à sa popularité ! Tour à tour grave et mordant, doux et enjoué, il mêle heureusement les tons les plus divers. Le discours écrit ne contient pas tout ce qu’il dit à la tribune : on peut en juger par certains points qu’il expose seulement sans les traiter à fond. Celui qui nous reste de sa censure contre son collègue Domitius est moins un discours qu’un texte à développer, et un sommaire assez étendu ; car jamais les combats de la parole ne furent plus animés que dans cette grande querelle. Crassus, il faut le dire, excellait aussi dans l’éloquence populaire : celle d’Antoine convenait beaucoup mieux au barreau qu’a la tribune.

XLV. J’ai parlé de Domitius ; je ne le quitterai pas sans observer encore que s’il ne fut point compté parmi les orateurs, il maniait cependant la parole avec assez de talent pour ne pas rester inférieur aux fonctions du magistrat, ni à la dignité de l’homme consulaire. J’en dirai autant de C. Célius. Il eut une activité infatigable et de grandes qualités. Quant à l’éloquence, il en trouvait assez dans les affaires particulières pour défendre ses amis ; dans les discussions publiques, pour soutenir son rang. À la même époque, M. Hérennius était compté au nombre des orateurs médiocres, qui parlent avec pureté et correction. Toutefois, rival de Philippe dans la demande du consulat, ni la noblesse de ce compétiteur, ni ses liaisons de famille, d’amitié, de sacerdoce, ni même sa haute éloquence, n’empêchèrent Hérennius d’emporter les suffrages. Un autre citoyen, que sa grande naissance et son immense crédit plaçaient au premier rang dans l’État, C. Clodius, n’eut cependant pour la parole qu’un talent médiocre.

À ceux du même temps, ajoutons le chevalier romain C. Titius. Il me paraît s’être élevé aussi haut que pouvait le faire un orateur latin, sans la connaissance des lettres grecques et le secours d’un long exercice. Ses discours, tout pleins des traits les plus piquants, des rapprochements les plus heureux, de l’urbanité la plus exquise, semblent, je le dirai presque, couler d’une plume attique. Il a porté jusque dans ses tragédies cet esprit fin et brillant, mais peu tragique, dont ses discours étincellent. Il eut pour émule le poète Afranius, écrivain spirituel, éloquent même, comme vous le savez, au moins dans le genre dramatique. Ajoutons encore Rubrius Varron, accusateur ardent et passionné, qui fut déclaré par le sénat ennemi public avec C. Marius. Mentionnons avec une véritable estime un autre ora-