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VIE DE CICÉRON.

à lui-même. — « Le sage n’appartient qu’à lui. — Le sage ne doit pas blesser inutilement ceux qui sont en possession de l’autorité. — Quand on a cru que le meilleur parti était de vivre, il faut bien aimer ceux dont on tient cette vie, qu’on a préférée à la mort. — L’histoire nous montre une infinité de sages vivant sous la tyrannie dans Athènes et dans Syracuse, et y conservant la liberté de leur esprit. — Quand il a pris les mesures les plus justes, et qu’il en a été trompé, le sage ne doit pas lutter sans espoir contre la force des choses. » À force d’invoquer les maximes des sages, Cicéron oubliait qu’il ne l’était plus. Dans cette communauté d’études et de plaisirs avec ses maîtres, il évitait de se mêler des affaires de Rome, même de marquer quelque curiosité de les savoir ; et il n’employa la faveur où il était auprès d’eux qu’à rendre service à plusieurs de ses amis, que l’exil punissait de leur attachement à une cause naguère la sienne. Il n’épargnait alors ni ses instances, ni ses peines. Il ne quittait plus la demeure de César ; et s’il se plaignait parfois de la difficulté des audiences, et d’avoir à les attendre, avec tous ses clients, dans le vestibule de son palais, il n’en accusait que la multitude et le grandeur de ses devoirs.

Recherché des amis de César, il l’était aussi des partisans de la république, et sa maison était plus fréquentée que jamais. « On cherche, disait-il, à voir un bon citoyen comme une espèce de prodige. » Les visites étaient si nombreuses, qu’il en avait réglé l’ordre. Il recevait les républicains de grand matin ; audience mélancolique et triste. Après eux arrivaient « les joyeux vainqueurs, » comme il les appelait ; et tous ces visiteurs partis, il se retirait dans sa bibliothèque pour lire ou composer.

Toutefois, il protestait par des bons mots contre la tyrannie de César et la bassesse de ses créatures. Andron de Laodicée, qu’il avait connu en Cilicie, étant venu le saluer, lui apprit que ses concitoyens l’avaient envoyé à Rome pour demander à César la liberté de leur patrie. « Si vous réussissez, lui dit Cicéron, sollicitez aussi pour nous. » — « Ne vous étonnez pas, » disait-il un autre jour de César, en faisant allusion à son commerce de débauche avec le roi de Bithynie ; « ne vous étonnez pas qu’après avoir aimé un roi, il aime tant la royauté. » Ses amis, craignant que cette liberté de langage ne l’exposât au ressentiment du dictateur, l’exhortèrent à plus de retenue. Mais il leur répondit, « que lui demander d’étouffer dans sa bouche une raillerie, c’était vouloir qu’il renonçât à toute réputation d’esprit. D’ailleurs, ajoutait-il, César a le jugement admirable ; il faut lui rendre cette justice. Il s’est tellement familiarisé avec mes bons mots, que si on lui en donne comme de moi qui n’en soient pas, il les rejette aussitôt. Ce discernement lui est d’autant plus facile, que ses meilleurs amis vivant très-familièrement avec moi, ils ne manquent point de lui répéter tout ce qui m’échappe d’ingénieux ou de plaisant dans la variété de nos discours. Je sais qu’ils ont reçu de lui cette commission. »

César ne pouvait douter de l’horreur secrète que Cicéron avait pour son usurpation ; mais l’amitié qu’il lui portait et un reste de respect lui avaient fait prendre le parti, non-seulement de le traiter avec assez de considération pour adoucir ses chagrins, mais de contribuer de tout son pouvoir à lui rendre la vie douce et agréable. Cependant tout ce qu’il fit dans cette vue n’obtint de Cicéron que des louanges sur sa clémence, et sur l’intention qu’il lui prêtait de rétablir la république. Du reste, il ne traite jamais son gouvernement que de tyrannie, et le dictateur, que d’ennemi et d’oppresseur de Rome ; et sa conduite envers lui, toujours prudente et réservée, suivait les vicissitudes de ses espérances et de ses craintes.

Il donna dans le même temps une preuve éclatante de son indépendance : il composa l’Éloge de Caton. Ses amis voulurent qu’il considérât longtemps de quelle manière il devait traiter un sujet si délicat, et lui conseillèrent de se borner à des louanges générales, et d’éviter des détails qui ne pouvaient manquer d’offenser César. Il appelait lui-même cette difficulté « un problème d’Archimède. « Mais sans se rendre à ces conseils timides, il éleva jusqu’au ciel, suivant l’expression de Tacite, les vertus et le caractère de Caton.

Ce livre hardi eut un grand succès. César même, loin d’en témoigner aucun ressentiment, affecta d’en paraître satisfait mais il déclara que son dessein était d’y répondre, et, par son ordre sans doute, Hirtius composa de suite un petit écrit, en forme de lettre, qui contenait plusieurs objections, mais où Cicéron était traité avec beaucoup d’égards.

La réponse de César (l’Anti-Caton) ne fut publiée qu’à son retour d’Espagne, c’est-à-dire, l’année suivante. C’était une invective laborieuse ; on y répondait à chaque point du panégyrique. Toutefois l’auteur y marquait une grande admiration pour Cicéron ; il le comparait pour la vertu aux Périclès et aux Théramène, noms bizarrement rapprochés. Ce qu’il ajoutait était plus juste, « que Cicéron était au-dessus de tous les triomphateurs, parce qu’il est plus glorieux d’avoir reculé pour les Romains les limites du génie que celles de leur empire. »

Ce combat littéraire partagea Rome. Chacun prenait parti suivant ses intérêts ou son inclination, elles vertus de Caton, le plus beau caractère de son siècle, n’étaient plus qu’un vain sujet de conversation dans une ville corrompue et esclave.

Cicéron entreprit ensuite, à la prière de Brutus, un ouvrage qu’il intitula l’Orateur, et dans lequel il voulut donner l’idée la plus parfaite de l’éloquence. L’accueil que reçut ce livre confirma l’opi-