de Rhétorique en quatre livres, désavoué depuis par le grand orateur, mais qu’il lui suffit de retoucher pour le donner sous le titre de l’Invention.
Cicéron prit à seize ans la robe virile. Tout concourait à rendre solennel ce premier engagement contracté avec l’État ; le cortége qui accompagnait le nouveau membre au Capitole, l’appareil de son entrée dans le forum, cette grande école des affaires et de l’éloquence ; enfin le choix qu’avait fait sa famille, pour le guider dans sa nouvelle carrière, du célèbre Q. Mucius Scévola, l’augure, l’homme de son temps le plus versé dans la pratique des affaires, et dont les sentences, appelées les oracles de Rome, entrèrent ensuite avec force de loi dans le corps de la jurisprudence. Cicéron fit sous lui de rapides progrès dans toutes les parties de la science du droit, et en pénétra les points les plus obscurs. On le voyait suivre aussi avec assiduité les débats du forum et du barreau, où brillaient alors Crassus, M. Antoine, C. Cotta, Hortensius : et déjà leur secret rival, il refaisait chez lui, dans un travail solitaire, les discours et les plaidoyers qu’il venait d’entendre. En même temps, il traduisait en latin les plus belles harangues de Démosthène et d’Eschine, plusieurs chants d’Homère, et tout le poëme grec d’Aratus sur les Phénomènes du ciel. Phèdre le philosophe l’initiait aux principes de la doctrine épicurienne, qui séduisit sa jeunesse, mais que réprouva la maturité de sa raison. Son goût pour la poésie trouvait encore à se satisfaire au milieu de toutes ses études ; et l’on dut à sa muse, entre autres productions dont on connaît à peine le titre, une épopée dont Marius était le héros, et à laquelle Scévola, trompé cette fois par sa science d’augure, prédisait une durée éternelle. Il en reste treize vers. Plutarque affirme, il est vrai, que Cicéron passa non-seulement pour le premier orateur, mais aussi pour le plus grand poëte de son temps ; mais ni Lucrèce, ni Catulle n’avaient rien produit ; Virgile n’était pas né ; et quand le sceptre de la poésie lui fut enlevé, il tenait depuis longtemps celui de l’éloquence.
La guerre Sociale, qui venait d’éclater de nouveau, le força un moment à abandonner ses travaux. L’alarme était à Rome ; les alliés avaient battu ses armées ; le forum et le barreau étaient déserts ; toute l’activité, toute l’énergie de la république, étaient tournées vers la guerre, qui menaçait son existence. Une armée nouvelle venait d’être confiée au père de Pompée ; le vieux Caton, Sylla, Marius, étaient ses lieutenants. Hortensius était volontairement parti ; Cicéron le suivit ; il avait dix-huit ans. Ce n’était pas seulement l’effet d’un noble entraînement. Rome ne donnait de fonctions civiles qu’à ceux qui l’avaient défendue aux armées ; il fallait mériter sur les champs de bataille l’honneur de la servir dans les magistratures.
Dans cette campagne d’une année, il prit part, entre autres actions mémorables, à la victoire remportée près de Nole sur les Samnites ; victoire qui mit fin à la guerre, et rendit Sylla si glorieux, qu’il en fit peindre toutes les circonstances dans sa maison de Tusculum, dont Cicéron fut possesseur après lui. À la guerre Sociale succéda la guerre contre Mithridate. Sylla et Marius se disputaient le commandement des armées ; et cette rivalité fatale, marquée bientôt par toutes les horreurs des proscriptions, ferma au jeune Cicéron les écoles, les tribunaux, toutes les grandes sources de l’instruction. Trois années de calme furent enfin rendues à l’État, lorsque, Marius mort et Sylla absent, Cinna domina seul. La justice reprit son cours, et le champ fut rouvert aux luttes pacifiques de la parole.
Quand Cicéron reparut au forum et au barreau, il n’y retrouva plus ses maîtres, qu’avait dévorés la guerre civile. Par elle avaient péri les deux frères L. et C. César, amis de sa famille ; Q. Catulus, P. L. Crassus, le premier guide donné à sa jeunesse ; et enfin l’orateur M. Antoine, « dont la tête fut clouée aux rostres, d’où il avait sauvé celles de tant de citoyens, et présidé, pendant son consulat, aux destinées de la république, » comme s’exprime Cicéron, qui devait éprouver le même sort et inspirer le même regret, en tombant sous les coups du petit-fils de cet orateur.
Il employa ce temps de calamités à compléter seul ou avec le peu de maîtres qu’elles lui laissèrent, ses études philosophiques, oratoires, littéraires, ou, pour mieux dire, universelles ; et il en publia le fruit dans plusieurs traités, les uns nouveaux, la Rhétorique à Hérennius ; de l’Administration de la république ; les autres refaits sur les essais de son enfance, une Grammaire, et les deux Livres de l’Invention. Il fit en outre, vers le même temps, un traité de l’Art militaire, et des traductions de l’Économique de Xénophon et du Protagoras de Platon. Il avait retrouvé, comme dédommagement des leçons de l’augure Scévola, victime des proscriptions, celles de Scévola le grand-pontife, aussi versé que le premier dans la science du droit, et appelé par son élève « le plus orateur d’entre les jurisconsultes, et le plus jurisconsulte d’entre les orateurs. » En outre, il s’était fait le disciple du célèbre académicien Philon, que la guerre contre Mithridate avait contraint de quitter Athènes et de venir chercher un asile à Rome, où il enseignait la rhétorique et la philosophie. Il suivait aussi les leçons d’Apollonius Molon, le plus renomné des orateurs de la Grèce, ambassadeur à diverses reprises, à qui le sénat, par une dérogation unique à ses usages, avait accordé le privilége de lui parler en grec. Chaque jour enfin Cicéron déclamait sous différents maîtres, en grec, ou en latin, mais surtout en grec, à cause, nous dit-il, de la plus grande variété d’expressions que cette langue lui fournissait