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de votre opulence. » La même figure emploie aussi le singulier pour le pluriel : « Le Carthaginois a reçu des secours de l’Espagnol, et du farouche Gaulois ; il n’est pas en Italie même un seul Romain qui n’ait ressenti l’effet de cette alliance. » Ailleurs, elle prend le pluriel pour le singulier ; par exemple : « Une affreuse calamité remplissait tous les cœurs de chagrin ; les poitrines respiraient avec peine sous le poids de l’angoisse. » Dans l’exemple précédent, on voulait dire les Espagnols, les Gaulois, les Romains ; ici, le cœur, la poitrine. Le singulier donne de l’élégance ; le pluriel ajoute de l’énergie.

La Catachrèse est une figure qui, par une sorte d’abus, substitue au mot propre un autre mot qui en approche pour le sens. Par exemple : « Vires hominis breves sunt ; parva statura ; longum in homme consilium ; oratio magna ; uti pauco sermone. » Il est facile de voir que c’est par un abus de langage que l’on a emprunté des mots d’une signification différente, mais voisine de celle qu’on veut exprimer.

XXXIV. La Métaphore transporte un mot de son sens propre à un autre sens qui paraît lui convenir par comparaison. On s’en sert pour mettre en quelque sorte la chose sous les yeux. Par exemple : « Ce bruit de guerre éveilla tout à coup l’Italie épouvantée. » Pour rendre la pensée plus concise : « L’arrivée subite de d’armée éteignit aussitôt le feu qui s’était allumé dans Rome. » Pour éviter de dire une chose obscène : « Celui dont la mère fait chaque jour un nouveau mariage. » Pour amplifier : « Il n’y a pas de gémissement, pas d’infortune qui ait pu apaiser la colère de ce barbare, ni assouvir son horrible cruauté. » Ou, pour diminuer : « Il se vante d’avoir n été d’un grand secours, parce que, dans les circonstances difficiles, il a aidé d’un faible souffle la marche de notre navire. »

Pour orner le style : « Les vertus des gens de bien feront reverdir un jour le tronc de l’État, que les crimes des méchants ont desséché. » Il faut mettre de la réserve dans la métaphore ; le rapport sur lequel elle se fonde doit être assez marqué, pour qu’on ne puisse y critiquer ni mauvais goût, ni témérité, ni prétention.

La Permutation consiste à donner à la pensée un sens différent de celui des mots. Elle prend trois formes ; celle d’une ressemblance, celle d’une invective, celle d’une opposition. Elle se présente sous la forme d’une ressemblance, lorsqu’on se sert d’une ou de plusieurs métaphores simples : par exemple : « Si les chiens font l’office de loups, à quelle garde confierons-nous les troupeaux ? » Celle d’une invective, lorsque la comparaison est prise d’une personne, d’un lieu ou d’un objet quelconque, pour exagérer ou pour affaiblir : « Comme si vous appeliez Drusus, Gracchus, un Numitor suranné. » Celle d’une opposition, si vous donnez par ironie le nom d’économe et de sage à un homme prodigue et débauché. Dans ce dernier exemple, pris d’une opposition, et dans le premier, pris d’une comparaison, l’invective naît de la permutation. Dans la comparaison, par exemple : « Que dit ce roi, notre Agamemnon, ou plutôt, tant est grande sa barbarie, notre Atrée ? » Dans l’opposition : « Appelez un Énée le scélérat qui aura frappé son