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DE LA VIEILLESSE.

et de cette fange terrestre. Je partirai pour aller me réunir, et à ces grands hommes dont je viens de parler, et surtout à mon cher Caton, le meilleur des citoyens, le plus tendre des fils. J’ai mis son corps sur le bûcher funèbre, et il eût convenu, au contraire, qu’il y plaçât le mien ; mais son âme, sans m’abandonner, sans me perdre de vue, s’est retirée dans ce séjour où elle voyait bien que je viendrais aussi. Si j’ai paru supporter mon malheur avec fermeté, je n’y ai pas été moins sensible ; seulement je me consolais moi-même, en pensant que notre séparation ne serait pas longue. C’est à ces espérances que je dois ce qui fait, dites-vous, Scipion, votre admiration et celle de Lélius, une vieillesse légère pour moi, et qui m’est agréable, bien loin de m’être importune. Si je me trompe en croyant à l’immortalité de l’âme, je me trompe avec plaisir, et je ne veux pas qu’on m’arrache une erreur qui fait le charme de ma vie. Si je meurs tout entier, comme le pensent quelques petits philosophes, je ne sentirai rien, et je n’aurai pas à craindre que les philosophes morts comme moi se moquent de mon erreur. Quand même nous ne serions point immortels, il est néanmoins désirable pour l’homme de finir en son temps. Les jours qui nous sont accordés ont leur terme ainsi que tout le reste, et la vieillesse est comme le dernier acte du drame de la vie. Nous devons remercier la nature qui nous soustrait à la fatigue, et peut-être à la satiété.

Voilà ce que j’avais à vous dire sur la vieillesse. Puissiez-vous y parvenir, afin que l’expérience vous confirme ce que je viens de vous en apprendre !