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DE LA VIEILLESSE.

un particulier, tant sa gloire lui donnait de privilège ! Mais pourquoi parler des autres ? j’en reviendrai encore à moi. D’abord j’ai toujours eu des compagnons de table : ces compagnies furent établies pendant que j’étais questeur, lorsqu’on introduisit à Rome le culte de la mère des dieux. Je me régalais donc avec mes compagnons ; notre table était sobre, mais nous avions cette ardeur du jeune âge. Tout se tempère à mesure qu’on vieillit. Ce qui m’attirait le plus dans ces festins, n’était pas le plaisir de manger et de boire ; c’était celui de me trouver avec mes amis et de converser avec eux. Nos ancêtres ont eu raison d’appeler une réunion d’amis à table, d’un mot(19) qui exprime l’action de vivre ensemble, parce que la table est en effet un des liens de la société ; les Grecs expriment moins heureusement la même chose par des mots(20) qui ne rappellent que le boire et le manger, comme s’ils ne considéraient dans les festins que ce qui en fait la moindre partie.

XIV. Quant à moi, j’aime ces banquets prolongés pour le plaisir de la conversation ; et ce n’est pas seulement avec les hommes de mon âge, qui restent en bien petit nombre, mais c’est aussi avec ceux du vôtre, et surtout avec vous ; et j’ai grande obligation à la vieillesse, qui n’a fait que me rendre plus avide de conversation, et plus sobre sur le reste. Si pourtant on trouve quelque charme aux jouissances mêmes de la table, pour ne pas paraître avoir déclaré une guerre impitoyable à tous les plaisirs, dont le goût n’est que trop naturel peut-être, je dirai que je ne comprends pas pourquoi les vieillards ne seraient pas propres à goûter celui-ci. J’aime beaucoup, j’en conviens, et les royautés de table établies par nos ancêtres, et le discours prononcé, le verre en main, par le roi du festin, à la manière de nos pères.