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sent en avoir une idée assez complète : on se souviendra mieux de Pompée, mon contemporain et mon ami. Rien de plus connu dans Rome, rien de plus frappant que sa chute ; rien de plus présent à nos yeux et à notre esprit. Or, je puis dire que, s’il était mort plus tôt, il n’aurait su ce que c’est que douleur et qu’adversité, et qu’il n’a offert à tous les peuples ce terrible exemple du plus grand des malheurs, que pour avoir trop vécu. Il a dû être d’autant plus sensible à ces cruels revers de la fortune, qu’il ne l’avait connue jusque-là que par les faveurs qu’il en avait reçues. En effet, quel Romain avant lui avait été aussi chéri de tous ses citoyens ? qui fut jamais, dans les emplois civils ou militaires, décoré de plus de titres avant le temps marqué par les lois pour les obtenir ? qu’on m’en nomme un plus florissant en richesses, en alliances et en amis. Il ne manquait bien certainement à la perfection de son bonheur, qu’une fin honorable et qui répondît à toutes les félicités de sa vie. Mais voyons combien les revers de cette fortune ont de pouvoir dans l’ordre des choses humaines, à moins que nous n’aimions mieux rapporter tous les maux qui nous arrivent à notre propre état et à la condition dure sous laquelle nous sommes nés. Cet homme enivré d’une longue suite de prospérités, qui était dans l’habitude de ne penser qu’à ce qu’il y avait de plus grand, de ne souhaiter rien que d’heureux et de sublime ; qui tenait en sa main le nécessaire pour l’usage, et le superflu pour le plaisir, entreprend une guerre funeste contre son beau-père, sort de Rome, abandonne l’Italie ; et lui qui, dans les autres guerres, n’avait rien fait que guidé par la raison et par la prudence, dans celle-ci, et à un âge où il avait l’esprit et le jugement plus mûrs, il