Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/405

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carrière à votre imagination, rassemblez tout ce que vous pourrez vous figurer de plus propre à le rendre parfaitement heureux : en suivant l’opinion vulgaire, vous lui accorderez à souhait des richesses, une bonne santé, des honneurs, du pouvoir. Ajoutez-y des plaisirs sensuels : quand vous lui aurez prodigué tout cela, qu’arrivera-t-il ? Vous ne lui aurez rien donné de stable ni de permanent, rien qui ne soit sujet à une révolution subite ou à un changement continuel ; car toutes les choses d’ici-bas sont fragiles et incertaines : elles ne se gouvernent pas au gré de la sagesse ou des forces humaines, elles sont uniquement soumises aux caprices de la fortune et à la vicissitude des temps. Or, qu’y a-t-il de plus humiliant pour l’homme que cette dépendance du temps qui change perpétuellement, et de la fortune, dont le vent favorable ou contraire peut également nous soutenir et nous renverser, que d’être réduit à se glorifier des événements heureux, à gémir, à pleurer, lorsqu’ils sont funestes ? Quelle différence y a-t-il entre l’homme et la bête brute, si, de même que ces animaux dénués de raison, nous dépendons de ce qui est hors de nous, et si nous n’avons au dedans de nous-mêmes, ni force, ni vertu, ni fermeté ? Quoique la nature, plus marâtre que mère à notre égard, ait joint en nous à un corps fragile et plein d’infirmités une âme encline à s’affliger, rampante dans la crainte et paresseuse au travail, elle y a pourtant inséré des étincelles divines d’esprit et de jugement, à la lueur et avec le secours desquelles nous pourrions nous roidir contre l’affliction, résister à la crainte, supporter et vaincre sans beaucoup d’efforts les travaux les plus difficiles ; et c’est ce feu de l’intelligence qui nous vient de Dieu, que, loin de l’étouffer, nous devons tâcher d’allumer et d’accroître.