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mort n’est pas seulement la fin de nos douleurs, le commencement de notre repos, le terme de nos désirs et de notre bien, mais qu’elle est encore la dispensatrice des biens suprêmes et éternels. C’est dans cette confiance que Caton sortit de la vie, bien content d’avoir trouvé l’occasion de s’en affranchir[1]. On ne saurait douter que cette joie dans un homme si sage ne fût une marque de la certitude qu’il avait que la mort était un très grand bien ; car, dans les choses qui nous sont personnelles, et qui sont du ressort des sens, on ne se trompe point. Cela peut se prouver encore par le témoignage du sage Artaban(6), oncle de Xerxès. Hérodote raconte que Xerxès, passant en revue ses troupes innombrables rangées en bataille, se mit à pleurer, dans la pensée qui lui vint que de tant de milliers d’hommes il n’en resterait pas un seul au bout de cent ans. Artaban lui dit alors que les hommes étaient sujets à tant de misères, qu’il n’y en avait peut-être aucun dans ce nombre-là qui n’eût plusieurs fois souhaité de mourir, et qui ne trouvât la vie trop longue, traversée comme elle l’est d’accidents et de maladies qui en troublent la jouissance et qui en rendent l’usage importun ; qu’il n’était, par conséquent, pas douteux que la mort ne fût le refuge de tant de misérables. Il ajouta même que les dieux immortels, en couvrant de plusieurs apparences de bien cette vie malheureuse, en avaient usé ainsi par une espèce de ruse, pour nous empêcher de goûter les douceurs de la mort. Nous lisons dans la fable qu’Amphiaraüs fut très cher à Jupiter et à Apollon, et que cependant il ne parvint pas jusqu’à la vieillesse. Qu’a-t-on voulu faire entendre par là, sinon qu’une mort prématurée est un présent des dieux, et le plus

  1. Voy. tom. XXIV, pag. 140, note 32.