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sévère ? En voyant cet appareil de soins, de sollicitations, de finesses et presque de ruses, employés pour arriver à une place qui n’aurait dû être briguée que par les talents unis aux vertus, n’est-il pas à craindre que l’on ne qualifie durement ce traité de Manuel de l’intrigant ?

Cet arrêt précipité serait-il juste ? Quand Tibère eut ravi au peuple romain le droit au moins apparent que lui avait laissé Auguste d’élire ses magistrats, « on ne saurait croire, dit Montesquieu, combien cette décadence du pouvoir du peuple avilit l’âme des grands. Lorsque le peuple disposait des dignités, les magistrats qui les briguaient faisaient bien des bassesses ; mais elles étaient jointes à une certaine magnificence qui les cachait, soit qu’ils donnassent des jeux ou de certains repas au peuple, soit qu’ils lui distribuassent de l’argent ou des grains : quoique le motif fût bas, le moyen avait quelque chose de noble, parce qu’il convient toujours à un grand homme d’obtenir par des libéralités la faveur du peuple. Mais lorsque le peuple n’eut plus rien à donner, et que le prince, au nom du sénat, disposa de tous les emplois, on les demanda et on les obtint par des voies indignes ; la flatterie, l’infamie, les crimes furent des arts nécessaires pour y parvenir. »[1]

Avant de lire cet ouvrage, nous invitons l’homme impartial à méditer ces paroles d’un philosophe que les exagérés de tous les partis ont décrié, et que respectent les sages de toutes les opinions. Nos habitudes nous ont si rarement conduits à réfléchir sur le sujet approfondi par Quintus ; notre façon de sentir, notre éducation et nos usages nous exposent à l’apprécier avec si peu de justesse, qu’une telle précaution est commandée impérieusement à quiconque ne veut pas mettre un préjugé à la place d’un jugement raisonné.

Il est dans la nature des hommes réunis en société, il importe à la vie et à l’action du corps politique, qu’une noble ambition fasse désirer les places et les honneurs. Quel que soit

  1. Grandeur et Décadence des Romains, chap. 14.