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Soyons donc sur nos gardes ; craignons qu’on ne dise de nous, comme dans l’Épiclérus :

Vous avez aujourd’hui bien berné devant moi
Tous ces vieux radoteurs, barbons de comédie.

Les vieillards crédules et imprévoyants sont en effet les personnages de comédie les plus insensés. Mais nous sommes tombés, je ne sais comment, de l’amitié des honnêtes gens, c’est-à-dire des sages (je prends ce mot dans le sens usuel), aux amitiés superficielles et trompeuses. Revenons enfin à la véritable amitié, et terminons cet entretien.

XXVII. La vertu, la vertu, je le répète, Fannius et Scévola, produit l’amitié et la conserve ; car tout se trouve en elle, sympathie, stabilité, constance. Dès qu’elle se montre dans quelqu’un, dès qu’elle y fait briller ses rayons, et qu’elle les aperçoit et les reconnaît dans un autre, ce sont alors deux êtres qui s’attirent, se rapprochent pour se confondre[1], et s’enflamment ainsi ou d’amour ou d’amitié ; sentiments qui ne sont que deux différentes manières d’aimer. Or, aimer n’est autre chose que chérir quelqu’un pour lui-même, et sans aucune vue d’intérêt et d’utilité. Cependant cette utilité naît infailliblement de l’amitié même ; on n’y songeait pas, mais elle en est inséparable. C’est ainsi que, dans ma jeunesse, j’aimai des hommes illustres bien plus âgés que moi, L. Paullus, M. Caton, C. Gallus, P. Nasica, Tib. Gracchus(28), beau-père de mon cher Scipion. L’amitié est encore plus vive entre gens de même âge, tels que nous étions Scipion et moi, et L. Furius, P. Ru-

  1. « Nous nous cherchions, et nos noms s’embrassaient avant que de nous connaître… Et quand je me demande d’où vient cette joie, cette aise, ce repos que je sens lorsque je le vois, c’est que c’est lui, c’est que c’est moi. » Montaigne.