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qui est bien loin d’être vrai. Au contraire, ceux qui sentent le mieux leurs forces, qui, par leur sagesse et leur vertu, trouvent en eux-mêmes toutes leurs ressources, et n’ont besoin de personne, ceux-là excellent à contracter et à cultiver une amitié. Quel besoin avait de moi l’Africain ? Aucun, sans doute, et je n’avais pas plus besoin de lui : mais je l’aimai, parce que j’admirais sa vertu ; et il m’aima, par la bonne opinion peut-être qu’il avait de mon caractère. L’habitude augmenta, depuis, cette bienveillance mutuelle. Mais quoique nous ayons trouvé de grands avantages dans notre amitié, ce n’est nullement cet espoir qui la fit naître(11). Lorsqu’on est bienfaisant et libéral, ce n’est pas pour qu’on le soit à notre égard ; faire le bien n’est pas prêter à usure, c’est suivre un penchant naturel : ainsi nous cherchons dans l’amitié, non pas l’espérance de quelque profit, mais ce qui vient d’elle-même, l’avantage d’aimer et d’être aimé. Ce n’est pas ainsi que raisonnent ceux qui, comme les bêtes, rapportent tout aux plaisirs des sens[1] ; et je n’en suis pas étonné. Ces hommes-là ne peuvent rien concevoir d’élevé, de magnifique, de divin, puisqu’ils ont rabaissé toutes leurs pensées à un objet si honteux et si méprisable. Ici donc nous ne devons pas même nous occuper d’eux ; mais pénétrons-nous bien de cette vérité, que c’est la nature qui fait naître le besoin de s’aimer, la bienveillance mutuelle, sur les fondements de la probité. L’homme qui s’est une fois voué au culte de l’amitié, met tous ses soins et toute son application à se rapprocher de celui qu’il a commencé de chérir, à jouir de sa société, à lui inspirer une affection égale à la sienne et il se sent plus de

  1. Au lieu de l’ancien texte, Ab iis, Wetzel propose de lire Ab his ; Lallemand, At ii, etc.