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dévoiler convenablement dans votre discours et votre accusation, selon l’ordre des temps et des lieux, tous les crimes commis par Verrès, dans sa questure, dans sa lieutenance, dans sa préture. à Rome, en Italie, en Achaie, en Asie, en Pamphylie ? Croyez-vous, et ce point est surtout nécessaire dans la poursuite d’un tel accusé, croyez-vous faire paraître toutes les débauches de Verrès, toutes ses abominations, toutes ses barbaries aussi odieuses, aussi exécrables à vos auditeurs, qu’elles le parurent a ceux qui en ont été les victimes ? Ce sont là des choses importantes, croyez-moi : n’en jugez pas avec mépris. Il faut tout dire, tout démontrer, tout développer ; il ne s’agit pas seulement d’exposer une cause, il y faut mettre de la force et de l'abondance ; et, si vous voulez réussir, ce ne sera pas assez que l’on vous entende, il faudra qu’on y trouve du plaisir et de l’intérêt. Quand vous auriez reçu pour cela d’heureux secours de la nature ; quand vous vous seriez appliqué des l’enfance aux études et aux sciences les plus relevées, et en auriez fait un laborieux apprentissage, et particulièrement dans l'éloquence : quand vous auriez appris le grec à Athènes, et non pas à Lilybée, le latin a Rome et non pas en Sicile ; ce serait encore beaucoup que de vous bien mettre au fait, à force de recherches, d’une affaire si grave et si impatiemment attendue, que de l’embrasser dans votre mémoire, de l’exposer avec une éloquence, une voix et des forces dignes d’un tel sujet, vous direz peut-être : Mais vous-même, avez-vous donc toutes ces qualités ? plût aux dieux que je les eusse ! Mais enfin, pour les avoir, j’ai travaillé avec ardeur des mon enfance. Si donc, par la grandeur et la difficulté des choses, je n’ai pu y parvenir, moi dont la vie y fut consacrée tout entière, combien pensez-vous en être éloigné, vous qui n’y avez jamais songé jusqu’à ce jour, et qui, dans ce moment même, ou vous entrez dans la carrière, ne soupçonnez pas seulement la nature et l’importance de ces ressources ?

XIII. Moi, qui suis si assidûment, comme chacun sait, les débats du forum et des tribunaux, que nul, ou peu s’en faut, des citoyens de mon âge n’a plaidé plus de causes, moi qui emploie tout le temps que me laissent les affaires de mes amis, à des études et à des travaux capables de me préparer et de me rendre plus propre aux luttes de la parole ; j’en atteste les dieux que j’implore, quand je songe à ce jour où l’accusé paraissant devant ses juges, il me faudra prendre la parole, je sens non-seulement mon âme s’émouvoir, mais tout mon corps frissonner de crainte. Je me représente déjà l’empressement et l’affluence de ceux qui accourront pom* m’entendre ; l’attente ou l’on sera d’un jugement si grave, la foule d’auditeurs que rassemblera le nom infâme de Verrès ; l’attention enfin que fera prêter à mon discours l’énormité de ses crimes. Dans cette pensée, je cherche déjà en tremblant ce que je pourrai dire qui soit proportionné a l'indignation de tant d’hommes soulevés contre lui, a l’attente de tout le public et à l’importance de la cause. Mais vous, Cécilius, vous n’avez aucune de ces craintes, aucune de ces pensées, aucune de ces inquiétudes ! et si vous avez pu retenir de quelque vieille harangue certaine formule, comme Puisse aujourd’hui le très-bon, le très-grand Jupiter, ou, Je voudrais qu’il eût été possible, ou autre chose de ce genre, vous vous croyez admirablement préparé à paraître devant