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il dépendait de vous, en grande partie, de l’en empêcher. De cet autre crime, il ne sera point fait mention, si vous êtes l’accusateur. Dans toute cette procédure, il ne sera rien dit des déprédations, des injustices les plus criantes et les plus notoires. Croyez-moi, Cécilius, il ne peut défendre avec vérité les intérêts des alliés, l’accusateur complice des crimes de l’accusé. Les adjudicataires des dîmes se sont fait payer le blé en argent par les cités. Eh bien ! est-ce seulement sous la préture de Verrès ? non ; mais aussi sous la questure de Cécilius. Irez-vous reprocher cette action à Verrès, quand vous pouviez, quand vous deviez l’empêcher ? ou laisserez-vous ce fait à l’écart ? Verrès alors ne s’entendra pas reprocher un acte dont, en le permettant, il n’imaginait pas qu’on pût le justifier.

XI. Je ne rappelle ici que des faits connus de tout le monde. Il y a d’autres larcins plus cachés, que Verrès a généreusement partagés avec son questeur pour calmer, je pense, son zèle et son ardeur. Vous savez qu’on me les a dénoncés, et si je voulais vous les rapporter, chacun verrait aisément que non-seulement vous étiez unis d’intention, mais que vous avez encore partagé le butin. Si donc vous demandez le droit d’indice, parce que c’est un acte ou vous avez eu part, je vous l’accorde, pourvu que la loi le permette : mais s’il s’agit du droit d’accusation, il faut que vous l’accordiez à votre tour à ceux qui ne se sont point mis, par leurs crimes, hors d’état de prouver ceux d’autrui. Et voyez quelle différence il y aura entre vous et moi comme accusateurs ! Je ferai un crime à Verrès même des injustices que vous avez commises sans lui, puisqu’il ne les pas empêchées, quand il avait le pouvoir en main. Vous, au contraire, vous ne lui reprocherez même pas le mal qu’il a fait, de peur de découvrir en même temps votre complicité. Et les autres qualités, Cécilius, croyez-vous qu’on doive les compter peur rien, ces qualités sans lesquelles il est impossible de soutenir une cause, surtout une cause de cette importance ? Un certain talent pour la plaidoirie, une certaine habitude de la parole, la connaissance, ou du moins l’usage du barreau, des jugements et des lois ? je sais bien dans quelle route périlleuse et difficile je suis engagé : car, si la vanité est toujours odieuse, il n’en est pas de plus choquante que celle qui s’arroge le génie et l’éloquence. Je ne dis donc rien de mes talents : je ne vois pas ce que j’en pourrais dire, et, quand je le verrais, je ne le dirais pas. En effet, ou l’opinion qu’on a de moi doit me suffire, quelle qu’elle soit, ou, si elle ne m’est pas assez avantageuse, ce ne sont point mes paroles qui pourront la rendre plus favorable.

XII. Quant à vous, Cécilius, permettez que laissant à part toute lutte et toute comparaison, je vous parle eu ami sincère. Quelle idée avez-vous de vous-même ? Pensez-y bien : sondez-vous ; et voyez qui vous êtes et ce que vous pouvez faire. Croyez-vous, quand vous aurez à défendre la cause des alliés, les intérêts d’une province, les droits du peuple romain, la sainteté des jugements et des lois ; croyez-vous pouvoir exposer tant de faits si graves, si multipliés, avec une voix, une mémoire, une intelligence, un génie qui répondent à la grandeur du sujet, à l’indignité des attentats ? Croyez-vous pouvoir