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IX. Apprenez de moi, puisque c’est pour vous une occasion de vous instruire, combien de qualités il faut à l’homme qui veut en accuser un autre ; et, si vous vous en reconnaissez une seule, moi-même, à l’instant, je consens à vous céder ce que vous demandez. Il faut d’abord une droiture et une intégrité à toute épreuve. Est-il, en effet, rien de moins tolérable que de voir la vie d’autrui censurée par un homme qui ne peut rendre compte de la sienne ? Je n’en dirai pas là-dessus davantage. Une chose aura, je pense, frappé tout le monde, c’est que jusqu’ici, les Siciliens seuls ont pu vous connaître, et qu’à les entendre, malgré leur animosité contre un homme dont vous vous dites l’ennemi, si vous êtes chargé de leur cause, ils n’assisteront pas au jugement. Pourquoi le fuient-ils ? vous ne le saurez pas de moi. Laissez penser aux juges ce qu’il faut qu’ils en pensent. Quant aux Siciliens, hommes plus pénétrants, plus soupçonneux qu’on ne voudrait, ils croient que votre dessein n’est pas de lever des actes en Sicile contre Verrès ; mais comme dans ces actes sont consignées la préture de Verrès et votre questure, ils vous soupçonnent de vouloir, non pas les lever, mais les enlever de Sicile. Il faut ensuite qu’un accusateur soit ferme et sincère. Quand je vous supposerais l’envie de l’être, je le sens bien, vous ne le pourriez jamais. Et je ne dirai pas, ce qu’il vous serait pourtant impossible de nier, qu’avant de quitter la Sicile vous étiez réconcilié avec Verrès ; qu’à votre départ, vous lui aviez laissé Potamon, votre secrétaire et votre confident ; que M. Cécilius, votre frère, jeune homme d’un mérite rare, bien loin de paraître dans cette affaire et de vous aider à venger vos injures, est chez Verrès lui-même et vit avec lui dans la familiarité la plus intime. Ces faits, et bien d’autres encore, prouvent la fausseté de votre rôle d’accusateur : je les supprime et je dis seulement, qu’en eussiez-vous le plus grand désir, vous ne pourriez être un accusateur véritable, car je sais une infinité de crimes dont vous êtes complice avec Verrès, et dont vous n’oserez jamais parler dans votre accusation.

X. Toute la Sicile se plaint que Verrès, ayant demandé, par une ordonnance, le blé du préteur, et le blé étant alors à deux sesterces, il en exigea la valeur en argent à douze sesterces par boisseau. Délit grave, somme immense, vol effronté, horrible vexation ! Moi sur ce seul chef d’accusation je prononcerais sa condamnation : vous, Cécilius, que ferez-vous ! passerez-vous un tel crime sous silence ? en parlerez-vous ? Si vous en parlez, ferez-vous un crime à autrui de ce que vous avez fait vous-même, dans le même temps, dans la même province ? Oserez-vous porter une accusation qui vous forcerait à vous condamner vous-même ? Si vous n’en parlez pas, que penser d’un accusateur, qui dans la crainte de ses propres dangers, tremble non-seulement de donner le soupçon, mais la seule idée d’un délit si grave et si notoire ? Du blé a été acheté aux Siciliens, sous la préture de Verrès, en vertu d’un sénatus-consulte, et ce blé n’a jamais été payé tout son prix. Voilà une accusation terrible contre Verres ; terrible dans ma bouche ; nulle dans la vôtre, car vous étiez questeur ; les deniers publics étaient administrés par vous, quelque envie qu’eût le préteur d’en détourner quelque chose,