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ver sa vie, intrigué si ouvertement, et avec autant d’ardeur que Verrès et ses amis pour empêcher que cette dénonciation me fût confiée ? Verrès me croit bien des avantages qu’il sait que vous n’avez pas, Cécilius ; j’expliquerai tout à l’heure ce qui appartient à chacun de nous. Je dirai seulement, et vous en conviendrez en secret, qu’il n’y a rien en moi qu’il méprise, rien en vous qu’il redoute. Aussi ce puissant défenseur, cet ami de Verrès, Hortensius, vous honore de son suffrage et se déclare contre moi. Il demande hautement aux juges de vous préférer à moi et il dit qu’il n’y a là rien d’injuste, rien d’odieux, rien qui puisse offenser personne. « Je ne demande pas, ajoute-t-il, ce que j’ai coutume d’obtenir quand j’y mets un peu de chaleur ; je ne demande pas que l’accusé soit absous ; mais je demande qu’il ait pour accusateur celui-ci plutôt que celui-là, faites-le pour moi ! Accordez-moi une chose facile, permise, où l’envie n’est pour rien ; après quoi, vous pourrez sans risque et sans déshonneur absoudre celui dont je plaide la cause. » Et pour qu’à sa faveur se mêle un peu de crainte, il a soin de désigner certains membres du tribunal, à qui il est bien aise que l’on fasse voir les tablettes. Rien n’est plus facile, puisque l’on ne porte point son suffrage l’un après l’autre, mais tous ensemble. Chacun n’aura d’ailleurs qu’une tablette enduite de cire, conformément à la loi, et non de cette cire qu’il trouve infâme et criminelle. Et c’est moins pour Verrès qu’il se donne tant de peine, que parce que cette affaire lui déplaît beaucoup, car il voit bien que si des jeunes nobles dont il s’est joué jusqu’à ce jour, que si des accusateurs mercenaires qu’il a toujours méprisés avec raison et comptés pour rien, la volonté d’accuser passe à des hommes courageux et d’un caractère éprouvé, il ne pourra plus dominer dans les tribunaux.

VIII. Moi, je lui déclare d’avance que si vous m’autorisez à plaider cette affaire, il lui faudra changer tous ses plans de défense, agir avec plus de droiture et d’honneur qu’il ne le voudrait lui-même, et imiter ces grands hommes qu’il a connus autrefois, les Crassus et les Antoine, qui croyaient ne devoir apporter devant les tribunaux et dans les affaires de leurs amis que du zèle et du talent. Il n’aura pas sujet de penser, si je suis l’accusateur, qu’on puisse corrompre les juges sans de grands dangers pour bien des personnes. Dans ce procès les Siciliens m’ont chargé de leur cause, et j’ai moi-même embrassé celle du peuple romain. Ce n’est plus d’un seul coupable qu’il faut triompher, comme les Siciliens le demandent, c’est la prévarication elle-même qu’il faut exterminer et anéantir pour obéir aux vœux des Romains. Jusqu’où peuvent aller mes efforts ou mes succès ? j’aime mieux le laisser espérer que de le dire moi-même.

Mais, vous Cécilius, que pouvez-vous ? à quelle époque, dans quelle affaire avez-vous, je ne dis pas donné des preuves de talent, mais essayé vos forces ? N’avez-vous pas compris ce que c’était que de se charger d’une cause publique, de dévoiler la vie entière d’un homme, et non-seulement de la rendre claire à l’esprit des juges, mais encore de l’exposer aux regards de tout un peuple, de défendre enfin le salut des alliés, les intérêts des provinces, la force des lois, la sainteté des jugements ? r