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DISCOURS CONTRE Q. CECILIUS.

DISCOURS QUATRIÈME.


INTRODUCTION.

Caius Cornélius Verrès, de famille patricienne, fils du sénateur Caius Verrès (sec. action, disc. 2 ch. 39), après une jeunesse passée dans la dissipation, avait été questeur du consul Cn. Papirius Carbon dans la Gaule Cisalpine, l’an 84 avant Jésus-Christ ; lieutenant de Cn. Dolabella en Cilirie, l’an 81 ; préteur à Rome, en 74 ; et enfin avait succédé à Caïus Sacerdos, dans la préture de Sicile. Il accomplit ces fonctions pendant trois années, de 73 à 71, Arrius, nommé son successeur, ne s’étant pas rendu à son poste. Des vols, des rapines, des exactions, des actes de débauche et de cruauté avaient signalé toutes ses magistratures, mais surtout la dernière. Aussi, à peine eut-il fait place à Lucius Métellus qu’il se vit accusé de concussion par les Siciliens. Tous, à l’exception des Syracusains et des Mamortins, supplièrent Cicéron de poursuivre l’accusation. Il avait été questeur de Sicile en 75, sous la préture de Sextus Péducéus, et avait promis aux habitants, dans un discours prononcé à Lilybée, de veiller toujours à la défense de leurs intérêts. Outre cet engagement, une juste ambition, après d’éclatants débuts oratoires, le poussait à se charger d’une si belle cause. Il venait d’être désigné édile : quel plus glorieux monument de son édilité, quel plus beau titre à des honneurs futurs, qu’une condamnation obtenue au nom des lois et en faveur des alliés du peuple romain contre un prévaricateur insigne, que soutenait le crédit des Métellus, des Scipions, et d’autres illustres personnages ; qu’une victoire remportée sur le défenseur de Verrès, Hortensius, un des premiers du sénat par sa naissance, et que son éloquence faisait appeler le roi du barreau ? il céda aux instances des Siciliens : et, quoiqu’il n’eût encore porté la parole que pour défendre les accusés, quoique ce nom d’accusateur, après les terribles abus qu’on avait faits de l’accusation sous Marius et sous Sylla, fût odieux à Rome, il consentit à s’en charger.

Des considérations d’un ordre plus élevé lui en faisaient un devoir. Les sénateurs investis par Sylla, depuis l’an 82, au préjudice des chevaliers, de l’administration de la justice, étaient soupçonnés de se laisser corrompre ; tous les alliés gémissaient accablés sous le poids des vexations et des iniquités impunies des magistrats ; les accusateurs, par un infâme trafic, transigeaient avec les coupables ; et le peuple demandait à grands cris que l’on restituât les tribunaux à l’ordre équestre. Rendre au premier corps de l’État sa réputation d’intégrité, faire renaître la confiance dans l’esprit des nations alliées, réprimer les prévaricateurs par un châtiment exemplaire, détruire un abus honteux et révoltant, apaiser les plaintes du peuple en lui montrant la justice inaccessible à la corruption : tels étaient les résultats que le succès promettait à l’orateur ; telle était aussi l’épreuve décisive à laquelle le sénat allait être soumis. L’attente était vive et universelle.

Une question préjudicielle soulevée tout à coup faillit rendre impossible, ou du moins retarda quelque temps ce jugement si vivement désiré. Un certain Quintus Cécilius Niger, Sicilien d’origine mais citoyen romain, juif de religion, questeur en Sicile sous Verrès, mais, dit-il, offensé par lui, et dès lors son ennemi, prétendit qu’il devait être admis de préférence comme accusateur de Verrès. En réalité, ce n’était qu’une perfide connivence : instrument de Verrès dans des crimes dont il avait partagé le fruit, il demandait aux juges d’être chargé de cette accusation, afin de trahir la cause qui lui serait confiée, et de faire absoudre celui dont il était naguère le complice. A Rome, tout citoyen, même sans l’avis ni l’approbation de la partie lésée, pouvait se porter accusateur : force fut donc aux juges d’entendre les prétentions de Cécilius ainsi que les arguments dont se servirait Cicéron pour les combattre, et de décider entre les deux compétiteurs. Ce genre de cause s’appelait divinatio. Dans les autres jugements, on prononce sur des faits accomplis, d’après des preuves, des témoins ; ici, on statue pour l’avenir, à l’aide de conjectures, de présomptions, on devine, en quelque sorte, lequel des candidats à l’accusation la soutiendra avec plus de talent, de zèle et de vertu. De là, le titre donné à ce discours de Cicéron contre Quintus Cécilius.

Il fut prononcé au forum, sous le consulat de Cn. Pompée et de M. Licinius Crassus Divès, l’an 683 de Rome, 70 av. J. C, vers le mois d’avril, plus de trois mois avant l’ouverture du procès contre Verrès. Manius Glabrion, préteur, chargé de connaître des crimes de concussion, présidait le tribunal composé des sénateurs les plus distingués.

Cicéron était dans sa 37e année : les plaidoyers pour Quintius, pour Sextus Roscius Amérinus, pour l’acteur Quintus Roscius, et beaucoup d’autres causes, tant publiques que privées, soutenues avec une éloquence toujours croissante, avaient fait concevoir de brillantes espérances, qu’il allait encore surpasser.

Ce discours eut un plein succès : Cécilius, qui d’abord voulait être accusateur unique, puis, s’était borné à demander un rôle secondaire dans l’accusation, fut entièrement exclu, et Cicéron seul chargé de poursuivre Verrès.


I. Juges, si par hasard quelqu’un de vous, ou de ceux qui m’écoutent, s’étonne qu’après la part que j’ai prise pendant tant d’années aux causes et aux jugements publics, toujours pour défendre,