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cinquante mille, quand l’autre met cent mille ! À moins cependant que votre regret ne soit d’avoir tiré cinquante mille sesterces de votre caisse, tandis que Hoscius en offrait cent mille du fruit de ses leçons et du talent qu’il avait créé. Qu’attendait-on, qu’espérait-on de Panurge ? Quel motif d’intérêt ou de faveur apportait-il au théâtre ? Il était élève de Roscius. Ceux qui chérissaient le maître s’intéressaient à l’élève ; ceux qui admiraient le premier, applaudissaient le second ; en entendant le nom de Roscius, on ne doutait pas du talent et de l’habileté de Panurge. Tel est le vulgaire ; il juge rarement d’après la vérité, et souvent d’après l’opinion. Fort peu de gens remarquaient ce que savait Panurge ; tous demandaient où il avait appris : on pensait que rien de mauvais ou de faible ne pouvait sortir de l’école de Roscius. S’il lut venu de celle de Statilius, eût-il mieux joué que Roscius lui-même, il n’aurait pas obtenu un regard. En effet, s’il est possible qu’un père sans probité ait un fils honnête homme, on ne croit pas qu’un méchant bouffon puisse former un bon comédien. Panurge paraissait meilleur encore qu’il ne l’était, parce qu’il avait eu Roscius pour maître.

XI. La même chose est arrivée dernièrement au sujet du comédien Ëros. Cet acteur, chassé du théâtre par les sifflets et les cris des spectateurs, se réfugia chez Roscius, comme au pied d’un autel, se mit sous sa discipline, sous son patronage et la protection de son nom. Ëros, qui n’était pas même un bouffon du dernier ordre, s’est trouvé bientôt un de nos premiers acteurs comiques. D’où est venue cette métamorphose ? de l’appui seul de Roscius. Mais ce que Roscius a fait pour Panurge n’a pas été seulement de le recevoir chez lui pour qu’il fût nommé son disciple ; ce n’est qu’au prix de longs efforts, après avoir essuyé bien des dégoûts et des peines, qu’il est parvenu à le former. En effet, plus un maître est habile et intelligent, plus il est sujet à l’impatience et à la fatigue en donnant ses leçons. C’est un supplice pour lui de voir qu’on est si lent à comprendre ce qu’il a lui-même saisi si promptement.

Je me suis peut-être un peu trop étendu sur ce point, pour vous faire parfaitement connaître la nature de l’association. Qu’est-il arrivé ensuite ? Ce Panurge, continue-t-il, cet esclave en commun, a été tué par un certain Q. Flavius de Tarquinies, et vous m’avez chargé de suivre l’affaire. Le procès engagé, l’indemnité du dommage fixée par le préteur, vous avez sans moi transigé avec Flavius. Mais est-ce pour la moitié ou pour la société entière que j’ai transigé ? Pour parler plus clairement, est-ce pour moi seul ou bien pour vous et pour moi ? Pour moi seul, j’en avais le droit : de nombreux exemples m’y autorisent. Bien d’autres l’ont fait de plein droit. En cela, je ne vous ai fait aucun tort. Demandez ce qui vous appartient ; exigez et prenez ce qui vous est dû ; que chacun ait sa part de droit et la fasse valoir. — Mais vous avez tiré de la vôtre un excellent parti. — Faites comme moi. — Vous avez transigé avantageusement pour votre moitié. — Transigez de même pour la vôtre. — Vous avez obtenu cent mille sesterces. — Si cela est vrai, obtenez la même somme.

XII. Il est facile d’exagérer dans le discours et dans l’opinion cette transaction de Roscius ; mais, en réalité, elle n’offrait qu’un mince et médiocre avantage. Il reçut en payement une terre dans le temps où les biens de campagne étaient sans valeur. Cette terre n’avait pas d’habita-