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fraude et en malice, que de s’être vu si fidèlement imité par lui dans le rôle du marchand esclaves. Aussi, Pison, considérez, je vous prie, considérez l’accusateur et l’accusé : Roscius a volé Fannius : qu’est-ce à dire ? C’est l’homme probe, honnête, irréprochable, sans malice et plein de généreux sentiments, qui aura volé le malhonnête homme, le vicieux, le parjure, le fripon, l’homme avide d’argent : c’est chose impossible à croire. Si l’on disait que Fannius a volé Roscius, on penserait aisément, d’après l’idée qu’on a du caractère de chacun d’eux, que Fannius a fait la chose par méchanceté, et que Roscius s’est laissé tromper par imprudence. Mais aussi, par la même raison, lorsqu’on accuse Roscius d’avoir trompé Fannius, on ne pourra croire que Roscius ait rien convoité par avarice, ni que Fannius ait rien perdu par un excès de facilité.

VIII. Voilà le point de départ : examinons le reste. Roscius a volé à Fannius cinquante mille sesterces : par quel motif ? Je vois sourire Saturius, qui se croit un habile homme. C’est, dit-il, pour avoir ses cinquante mille sesterces. J’entends ; mais cependant je demande pourquoi Roscius en avait une si grande envie ? car assurément, ni vous Perpenna, ni vous L. Pison, ne vous seriez déterminés, pour pareille somme, à tromper votre associé. Je puis donc demander pourquoi elle aurait séduit Roscius. Était-il dans le besoin ? Non, il était riche. Avait-il des dettes ? Au contraire, il possédait des fonds considérables. Était-il avare ? Nullement ; car avant même de devenir riche, il fut toujours le plus libéral et le plus généreux des hommes. Dieux immortels, lui qui refusait dans une autre occasion de gagner trois cent mille sesterces (et il pouvait et devait obtenir cette somme, puisque Dionysia s’est bien engagée pour deux cent mille), il aura voulu s’en approprier cinquante mille au prix d’une fraude coupable, par méchanceté, par perfidie ! Le premier gain était immense, honorable, flatteur, hors de toute contestation ; celui-ci est minime, sordide, désagréable, litigieux, et dépendant d’un jugement. Dans les dix années qui viennent de s’écouler, Roscius aurait pu très-honorablement se faire six millions de sesterces. Il ne l’a pas voulu. Il a accepté la fatigue, il a refusé le salaire. Il n’a point cessé de travailler aux plaisirs du peuple romain, et il a cessé depuis longtemps de travailler à sa fortune. Feriez-vous jamais cela, vous, Fannius ? Et si vous pouviez espérer de pareils profits, ne seriez-vous pas infatigable, sauf à rendre l’âme, en jouant votre rôle ? Venez dire maintenant que Roscius vous a volé cinquante mille sesterces, lui qui a refusé des sommes immenses, non par aversion pour le travail, mais par une noble générosité.

Ai-je besoin maintenant, Perpenna et Pison, d’ajouter les réflexions que vous faites sans doute vous-mêmes ? Roscius vous trompait dans une affaire de société : il est des lois, des formules de procédure qui ont prévu tous les cas. On ne peut se tromper ni sur la nature du fait, ni sur la manière de se pourvoir. On trouve dans l’édit du préteur les formules générales qui doivent diriger chaque particulier dans sa poursuite, suivant le dommage, la douleur, l’incommodité,