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murailles ; si, maître de Rome comme d’une ville prise d’assaut sous les enseignes des consuls, il a cru devoir raser la maison de celui qu’il en regardait comme le plus intrépide défenseur, au moins j’aurai la joie d’y voir mes dieux pénates, les dieux de ma famille rétablis par vos mains.

LVII. Vous donc, dieu du Capitole, que le peuple romain a nommé très-bon pour vos bienfaits, et très-grand pour votre puissance ; vous, Junon, reine des dieux ; et vous, Minerve, protectrice de cette ville. Minerve, qui avez toujours été la lumière de mes conseils et le témoin de mes travaux ; vous aussi, qui m’avez redemandé, qui m’avez rappelé avec le plus d’instance, et pour qui, en effet, j’ai soutenu tous ces combats, dieux pénates, dieux familiers de la patrie, qui veillez sur Rome et sur la république ; vous dont j’ai préservé les temples et les demeures sacrées des ravages de cette flamme sacrilège ; et vous enfin, vénérable Vesta, dont les chastes prêtresses ont été préservées par moi de la démence et des attentats d’une troupe effrénée ; vous dont j’ai empêché les feux éternels de s’éteindre dans le sang des citoyens, ou de se mêler à l’incendie de Rome, daignez aujourd’hui m’écouter : si, dans ce moment qui fut presque le dernier de la république, je livrai ma tête, pour la conservation de votre culte et de vos temples, à la fureur et aux poignards des plus vils citoyens ; si, depuis encore, lorsqu’on voulait m’engager dans une lutte qui eût été funeste à tous les gens de bien, j’aimai mieux vous attester, vous recommander mon sort et celui des miens, vous dévouer enfin ma personne et ma vie, à cette seule condition qu’après avoir, et dans cette occasion et pendant mon consulat, sacrifié tout intérêt, tout profit, toute récompense légitime, au devoir de consacrer mes soins, mes pensées et mes veilles au salut de tous, j’aurais un jour le droit de vivre dans la république redevenue libre ; si je résolus, jugeant mes efforts inutiles au bien de ma patrie, de dévorer, loin des miens, mon éternelle douleur : je ne croirai ce dévouement reconnu et agréé par les dieux, que quand mes foyers me seront rendus. Jusqu’ici, pontifes, je suis encore exilé, non-seulement de cette maison sur laquelle vous avez à prononcer, mais de cette ville entière où je parais rétabli. De tous les quartiers de Rome les plus vastes et les plus fréquentés, on ne peut s’empêcher de voir en face ce monument, ou plutôt cette plaie de la patrie, dont vous sentez que je dois fuir la vue plus que la mort même. Ne condamnez donc pas, je vous prie, celui que vous avez cru rétablir pour relever la république, à vivre privé de l’éclat convenable à sa dignité, exclu même d’une partie de Rome.

LVIII. Ce n’est ni le pillage de mes biens, ni la démolition de mes demeures, ni la dégradation de mes terres, ni le brigandage cruel exercé sur ma fortune par les consuls, qui me touche sensiblement : je connaissais trop l’instabilité de ces biens passagers, que ne donnent ni la vertu, ni les talents, mais les circonstances et le hasard ; richesse bien moins désirable que l’art d’en régler l’usage et d’en souffrir la privation. Ma fortune, aujourd’hui, peut suffire à tous mes besoins, et mes enfants trouveront dans le nom de leur père et le souvenir de ses services un assez riche patrimoine : mais après avoir vu ma maison envahie