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tout le monde sut comment, avec des paroles inusitées et toutes profanes, avec de sinistres augures, se reprenant lui-même à chaque mot, embarrassé, tremblant, bégayant, il prononça et fit tout autrement qu’il n’est ordonné dans vos livres. Et il n’est pas étonnant que, dans une action si criminelle et si extravagante, il n’ait pas même retrouvé assez de son audace pour étouffer sa terreur. En effet, s’il n’y a jamais eu de brigand si barbare et si féroce, qui, après avoir pillé les temples, tourmenté par des songes funestes et par un reste de religion, ait pu consacrer quelque autel sur un rivage désert, sans frémir d’horreur, en se voyant forcé d’apaiser la divinité offensée par ses crimes ; quel a dû être le trouble de ce déprédateur de tous nos temples, de toutes nos maisons, de Rome entière, lorsque, pour expier tant d’attentats, par un dernier attentat, il consacrait un autel ! Quoique sa nouvelle domination lui eût enflé le cœur, et qu’il fût armé d’une inconcevable audace, il ne pouvait se défendre d’une précipitation inquiète ni de fréquentes méprises, surtout avec un pontife, avec un maître forcé d’enseigner avant d’avoir appris. On ne fait pas impunément une si grande violence aux dieux immortels et à la patrie. Les dieux immortels, qui voyaient le défenseur et le gardien de leurs temples chassé de Rome par le plus grand des forfaits, ne voulaient point abandonner leurs temples pour s’établir dans sa maison, et ils frappaient cette âme insensée d’inquiétude et d’effroi. Quant à la république, quoique bannie alors avec moi, elle était toujours devant les yeux de son destructeur, et elle commençait à lui redemander, au milieu de ses fureurs, son existence et la mienne. Faut-il donc s’étonner que, possédé du délire de la peur, emporté par le crime, il n’ait pu achever les cérémonies saintes, ni proférer aucune des paroles solennelles ?

LVI. Sans donc vous arrêter plus longtemps à ces discussions de détail, ramenez vos pensées, pontifes, à l’intérêt général de la république, dont vous avez jusqu’ici partagé la défense avec tant d’autres généreux citoyens, mais qui, dans la cause présente, n’a d’autre appui et d’autre soutien que vous. La volonté toujours unanime du sénat, à la tête duquel vous n’avez cessé vous-mêmes de signaler votre zèle en ma faveur ; ce noble soulèvement de toute l’Italie ; ce concours des villes municipales ; ce cri du Champ de Mars, cette voix unanime de toutes les centuries qui ne firent alors que suivre votre exemple et votre autorité ; tous les ordres, toutes les sociétés, et les bons citoyens et ceux qui veulent l’être, tout vous dit que vous devez agir non-seulement comme dépositaires, mais comme défenseurs zélés du vœu et du sentiment général dans ce qui intéresse ma gloire. Enfin, les dieux immortels, protecteurs de cette ville et de cet empire, semblent avoir voulu manifester eux-mêmes à l’univers et à la postérité, que c’est leur divine providence qui m’a rendu à la patrie, en remettant au pouvoir et au jugement de leurs ministres sacrés, le fruit de mon retour et des félicitations que j’ai reçues. Oui, pontifes, mon retour, mon rétablissement véritable, c’est de recouvrer ma maison, ma demeure, mes autels, mes foyers, mes dieux pénates : et si mon ennemi en a renversé de ses mains impies les toits et les