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son, je dis d’abord d’un citoyen, cnsuite d’un citoyen qui, selon le témoignage du prince du sénat, de tous les ordres, de toute l’Italie, du monde entier, avait eu la gloire de sauver Rome et l’empire ? Que leur auriez-vous dit, opprobre et fléau de l’État ? Venez, Lucullus, venez, Servilius, pour la dédicace de la maison de Cicéron, tenir la porte et me dicter la formule. Vous êtes, il est vrai, d’une audace et d’une effronterie singulières : toutefois vous auriez baissé et la tète, et les yeux, et le ton, devant ces hommes respectables, qui, représentant dans leur personne toute la majesté du peuple romain et l’autorité de l’empire, vous auraient effrayé par la déclaration solennelle qu’ils ne pouvaient sans crime être témoins de vos fureurs et de votre parricide envers la patrie.

Prévoyant leur réponse, vous eûtes recours à votre allié, non par préférence, mais à défaut d’autre. Et je ne puis croire que, s’il descend véritablement de ceux qui apprirent d’Hercule lui-même, parvenu au terme de ses travaux, la manière d’honorer les dieux, il ait été assez cruel pour insulter au malheur d’un citoyen courageux, et élever de ses mains un monument funèbre a un homme qui vivait, qui respirait encore. Il faut qu’il n’ait rien dit ; et s’il a paru dans cette scène, victime de l’imprudence de sa mère, il n’aura prêté au crime que son silence et son nom ; ou bien s’il a prononcé quelques mots en bégayant, et tenu la porte d’une main tremblante, au moins il n’a rien fait selon les formes, selon l’usage et les règles prescrites. Il avait va Muréna, son beau-père, alors consul désigné, se rendre chez moi, pendant mon consulat, avec les députés des Allobroges, et m’apporter les preuves des complots formés pour la ruine publique ; il lui avait entendu dire qu’il m’avait eu deux fois l’obligation de son salut, l’une en particulier, et l’autre avec tous les citoyens. Qui pourrait se persuader que ce nouveau pontife remplissant, pour la première fois, les fonctions de son ministère, n’ait pas, en ouvrant la bouche pour proférer la formule, senti sa langue se glacer, sa main s’arrêter, son cœur défaillir, surtout ne voyant avec lui, d’un collège si nombreux, ni roi des sacrifices, ni flamine, ni pontife, forcé, à son grand regret, de devenir complice du crime d’autrui, et cruellement puni d’une alliance qui le déshonore ?

LIII. Mais, pour revenir au droit public des consécrations, dans lequel les pontifes ont toujours su concilier les rites religieux avec l’autorité du peuple, vous lisez dans vos fastes que le censeur C. Cassius, ayant à dédier la statue de la Concorde, consulta le collège des pontifes, et que M. Émilius, alors souverain pontife, lui répondit, au nom de tout le collège, qu’a son avis la dédicace ne pouvait être régulière si le peuple romain ne l’en chargeait nommément, et s’il ne faisait la cérémonie en vertu d’un ordre du peupie. Et quand Licinia, vestale de la plus haute naissance, revêtue du sacerdoce le plus respectable, eut dédié, sous le consulat de T. Flamininus et de Q. Métellus, un autel, une chapelle et un lit au pied de la roche sacrée, le préteur Sext. Julius, de l’aveu du sénat, n’en fit-il pas son rapport à ce collège ? Alors le grand pontife P. Scèvola répondit, au nom de tous, qu’à leur avis, ce que Licinia, fille de Caius, avait dédié dans un lieu public, sans l’ordre du peuple, n’était point sacré. Si l’on veut savoir avec quelle rigueur et