Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est-il étonnant qu’il vous soit échappé à tous deux bien des choses, surtout dans l’aveuglement de la fureur ?

Et voyez, pontifes, quelle est la force de la loi Papiria, dans une affaire presque semblable, mais où l’on ne trouve pas, comme dans celle-ci, le délire et le crime. Le censeur Q. Marcius avait fait faire une statue de la Concorde, et l’avait placée dans un lieu public. Un autre censeur, C. Cassius, ayant transporté cette statue dans la salle du sénat, consulta votre collège, pour savoir si rien ne l’empêchait de dédier la statue et la salle même à la Concorde.

LI. Comparez, pontifes, je vous en prie, les personnes, les circonstances, les actes. Cassius était un censeur distingué par sa modération et sa gravité ; Clodius est un monstre de scélératesse et d’audace. Du temps de Cassius, on était en paix, le peuple était libre, et le sénat gouvernait ; sous votre tribunat, la liberté du peuple romain était opprimée, l’autorité du sénat, anéantie. Ce que voulait faire Cassius était conforme à la justice, à la sagesse, à la majesté de l’empire. C’était un censeur, juge naturel du sénat, dans ce qui concerne l’honneur et la dignité ; pouvoir fondé par nos aieux, et que vous avez détruit. Son intention était de consacrer une statue de la Concorde dans la salle du sénat, et de dédier la salle même à cette déesse : noble et louable pensée ! Il croyait obliger les sénateurs à opiner toujours sans passion, en faisant du siège même et du temple du conseil public le sanctuaire de la Concorde. Vous, lorsque, par le fer et la terreur, par des édits, par des lois contre les personnes, par des scélérats à vos ordres, par la menace d’une armée dont le voisinage effrayait les citoyens, par vos traités impies avec les consuls, vous teniez la république en servitude, alors même, vous érigiez une statue à la Liberté, plutôt pour vous jouer de la pudeur que pour feindre la religion. Cassius dédiait, dans la salle du sénat, ce qu’il pouvait dédier sans faire tort à personne ; vous, c’est dans le sang, et presque sur les cendres d’un citoyen cher à la patrie, que vous avez placé l’image, non de la liberté publique, mais de la licence.

Et cependant Cassius consulta le collège des pontifes : vous, qui avez-vous consulté ? Si vous aviez eu quelque résolution à prendre, quelque expiation à faire, quelque sacrifice domestique à établir, vous auriez, selon l’antique usage, demandé l’avis d’un pontife : et pour inaugurer un temple dans l’endroit le plus apparent de la ville, sur un motif aussi abominable qu’inouï, vous n’avez pas cru devoir consulter les ministres publics de la religion ? Du moins si vous ne vouliez pas assembler le collège, n’y avait-il personne, parmi ceux qui composent cette assemblée, et que leur âge, leur rang et leur autorité distinguent entre les autres, avec qui vous pussiez conférer sur votre dédicace ? Vous n’avez point méprisé, vous avez craint leur autorité.

LII. Auriez-vous osé demander à P. Servilius, à M. Lucullus, dont les conseils et le pouvoir m’ont aidé, pendant mon consulat, à sauver la république de vos mains et de votre rage ; auriez-vous osé leur demander avec quelle formule et quelle cérémonie vous deviez consacrer la mai-