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sesseurs de Pison ! C’est Pison lui-même. Comment avez-vous pris le même homme pour arbitre et pour juge ? Après lui avoir donné, comme arbitre, un pouvoir sans bornes, vous l’avez enfermé dans l’étroite formule d’un jugement prononcé sur une consignation ? Qui jamais a obtenu d’un arbitre autant qu’il demandait ? Personne. En effet, on ne pouvait espérer de lui que ce qu’il était raisonnable d’accorder. Cette créance que vous avez soumise à l’arbitre, vous venez la soumettre au juge. Ordinairement, quand on voit sa cause compromise devant le juge, on a recours à l’arbitrage ; Fannius a osé venir de l’arbitre au juge, lui qui en prenant un arbitre, pour décider, d’après l’authenticité de ses registres, de la somme contestée, a jugé lui-même qu’on ne la lui devait pas. Voilà deux points suffisamment éclaircis : Fannius avoue qu’il n’a pas compté la somme ; il ne dit pas l’avoir portée en dépense, puisqu’il ne le prouve par aucun livre. Reste à dire que c’est une condition stipulée. Car je ne vois pas d’ailleurs à quel titre il peut réclamer une somme déterminée. Vous avez stipulé ? Où ? Quel jour ? Dans quel temps ? Devant qui ? Quel témoin déclare que j’en ai pris l’engagement ? Personne.

V. Quand je m’arrêterais ici, je croirais avoir fidèlement rempli mon devoir, assez débattu et fixé la cause, avoir expliqué la formule, la consignation, et éclairé le juge sur les motifs qui l’obligent à prononcer en faveur de Roscius. Ou demande une somme déterminée, on a consigné le tiers. Cette somme a été nécessairement ou comptée, ou portée en dépense, ou promise par stipulation. Fannius convient qu’il ne l’a point comptée ; ses registres prouvent qu’elle n’a pas été portée en dépense ; le silence des témoins ne permet pas d’admettre qu’elle ait été stipulée. Que pouvons-nous donc vouloir de plus ? Le voici : Le défendeur est un homme qui a toujours regardé l’argent comme peu de chose, et sa réputation, comme un bien sacré ; nous avons un juge dont nous sommes aussi jaloux de posséder l’estime que d’obtenir un jugement favorable ; la réunion des hommes distingués qui daignent nous appuyer ici de leur présence, mérite d’être respectée par nous à l’égal d’un autre juge ; pour ces motifs, nous traiterons un dernier point avec autant de scrupule que si tous les intérêts de la justice légale, tous ceux d’un arbitrage, tous les devoirs de la société, étaient compris et renfermés dans cette question. Ce que j’ai dit jusqu’à présent était de nécessité ; ce que je vais dire sera volontaire. Je parlais au juge ; maintenant je parle à Pison. J’ai plaidé pour le défendeur, je plaiderai pour Roscius. J’ai soutenu sa cause, à présent je soutiens son honneur.

VI. Fannius, vous demandez de l’argent à Roscius : quel argent ? Parlez hautement et sans feinte. Cet argent vous le doit-il en vertu de l’association ? ou bien sa générosité vous l’a-t-elle promis, et fait espérer d’avance ? Il y aurait d’un côté quelque chose de plus grave et de plus odieux ; de l’autre, moins d’importance et de difficulté. Une somme due en vertu de l’association ? Que dites-vous ? C’est une imputation sur laquelle il ne faut point passer légèrement, et dont on doit se justifier avec soin. S’il existe des causes privées qui intéressent essentiellement l’honneur, je dirais