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chez lui, était-ce un citoyen sans lequel tous les citoyens ensemble auraient été assujettis à des esclaves ?

XLIII. Mais, où l’a-t-on trouvée, cette Liberté ? j’ai voulu le savoir. Non loin de Tanagre, le tombeau d’une courtisane de cette ville était surmonté de sa statue. Un noble, assez proche parent de notre religieux pontife de la Liberté, prit cette statue pour en orner son édilité : il voulait surpasser tous ses prédécesseurs par l’éclat de ses fêtes. En homme prévoyant, il transporte dans sa maison, pour en faire hommage au peuple romain, toutes les statues, tous les tableaux, tous les autres ornements qui se trouvaient encore dans les temples, dans les lieux publics, dans la Grèce entière et dans toutes les îles. Mais lorsqu’il vit qu’il lui serait aisé, sans être édile, de se faire nommer préteur par le consul L. Pison, pourvu qu’il eût quelque compétiteur dont le nom commençât par la même lettre que le sien, il fit deux parts de son édilité, mit l’une dans son coffre-fort, et l’autre dans ses jardins. Quant à la statue enlevée du tombeau de la courtisane, il en fit présent à Clodius, pour représenter la liberté des hommes de son espèce bien plus que la liberté publique.

Qui oserait profaner cette divinité, image d’une courtisane, ornement d’un tombeau, enlevée par un voleur, inaugurée par un sacrilège ? Voilà donc la divinité qui me chassera de ma maison ; qui, pour venger son ancienne patrie, s’enrichira des dépouilles de la république, et fera partie d’un monument élevé pour attester aux siècles les plus reculés la honte et l’oppression du sénat ! Ô Catulus (dirai-je le père ou le fils ? la mémoire du fils est plus récente et se lie davantage aux événements de mon consulat) ! que vous fûtes trompé, quand vous pensiez que je devais m’attendre, dans cette république, à des récompenses extraordinaires, qui de jour en jour deviendraient plus éclatantes ! Les dieux ne permettront pas, disiez-vous, qu’il y ait jamais dans Rome deux consuls ennemis de la république. Il s’en est trouvé deux assez méchants pour livrer le sénat sans défense à un tribun furieux ; pour empêcher les sénateurs, par des édits tyranniques, de supplier le peuple en ma faveur ; pour laisser piller et renverser ma maison sous leurs yeux ; enfin, pour faire porter chez eux les restes de ma fortune échappée aux flammes.

Et vous, Q. Catulus, c’est au père maintenant que je m’adresse, la maison de M. Fulvius, qui avait été beau-père de votre frère, a été convertie par vous en un monument de vos victoires, afin que le souvenir de l’ennemi de l’État fût pour jamais effacé. Si, lorsque vous éleviez ce superbe portique, on vous eût dit qu’un temps viendrait où un tribun du peuple, au mépris du sénat et de tous les gens de bien, abattrait, renverserait votre édifice immortel, non-seulement à la vue des consuls, mais avec leur aide et leur secours, et qu’au terrain consacré par vous il joindrait la maison d’un citoyen, qui, revêtu du consulat, aurait, sans autres armes que l’autorité du sénat, sauvé la république ; n’eussiez-vous pas répondu que rien de tel n’était possible qu’après la destruction de Rome ?

XLIV. Mais admirez cette audace intolérable, cette cupidité sans mesure et sans frein. Lui ! s’occuper de monuments ! de consécrations ! jamais il n’y a pensé. Il voulait avoir une vaste et ma-