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n’a, de leur volonté et de leurs actions, une opinion qui les honore ; si l’on n’est convaincu qu’on ne doit rien leur demander de contraire à la justice et à la vertu. Cet infâme, tout absolu qu’il était alors, n’a pu trouver sur terre à qui vendre, à qui adjuger, à qui donner ma maison ; et quoiqu’il brûlât de s’emparer du sol et des bâtiments, et qu’il n’eût pas d’autre motif pour se faire accorder, par sa loi si équitable, l’entière disposition de mes biens, il n’a pas osé, dans l’excès même de sa fureur, envahir cette maison, l’objet de sa convoitise. Et vous croyez, pontifes, que les dieux immortels auraient voulu, par le brigandage abominable du plus scélérat des hommes, s’établir sur les ruines de ma maison, eux que j’avais maintenus dans leurs temples par mon courage et ma prudence ! Il ne s’est pas rencontré un seul citoyen dans une si grande ville, excepté la troupe infâme et sanguinaire de Clodius, qui ait voulu toucher à la moindre partie de mes biens, qui ne les ait défendus de tout son pouvoir dans ces temps orageux ; et les malheureux mêmes qui se sont souillés en prenant part à ce butin, à ces sociétés, à ces ventes infâmes, n’ont évité, depuis, aucune sorte de condamnation, soit privée, soit publique. Quoi ! parmi ces biens auxquels personne n’a touché, sans avoir été regardé comme un scélérat, ma maison sera devenue un objet de convoitise pour les dieux immortels ! Cette belle Liberté, votre déesse, aura chassé indignement mes pénates et mes lares, pour être installée par vous comme sur un terrain conquis ! Est-il rien de plus sacré, de plus respectable aux yeux de la religion, que la maison d’un citoyen ? Là sont des autels, des foyers sacrés, des dieux pénates ; là se font des sacrifices, des actes religieux, des cérémonies ; c’est un asile inviolable pour tous, et d’où l’on ne peut arracher personne sans impiété.

XLII. Nouveau motif pour vous, pontifes, de ne point écouter un furieux qui n’a pas seulement violé, au mépris de la religion, mais renversé, au nom même de la religion, le refuge où nos ancêtres ont voulu que nous fussions en sûreté à l’abri de ce nom sacré.

Mais à quelle déesse en a-t-il fait l’hommage ? Il faut que ce soit la Bonne Déesse, puisqu’elle a été consacrée par vous, Clodius. C’est, dit-il, à la Liberté. Vous l’avez donc installée dans ma maison, après l’avoir bannie de Rome ? Qui ? vous ! dans le temps même où vous ne vouliez pas que vos collègues, revêtus comme vous d’une autorité suprême, fussent libres ; où l’entrée du temple de Castor n’était permise à personne ; où, rencontrant en public cet illustre personnage, un de nos plus nobles citoyens, comblé d’honneurs par le peuple romain, pontife, consulaire, qui joignait à tant de titres une bonté, une modestie sans égale, et qu’enfin je ne conçois pas que vous osiez encore regarder en face, vous dites à vos esclaves de lui marcher sur le ventre ; où vous chassiez de Rome, par des lois tyranniques, un citoyen qui n’était pas condamné ; où vous teniez enfermé dans sa maison le plus grand homme de l’univers, tandis que vous dominiez dans le forum avec une armée d’infâmes satellites : vous placiez impudemment la statue de la Liberté qui elle-même attestait votre despotisme et la servitude du peuple romain ! Si la Liberté devait chasser quelqu’un de