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de m’être rendue, continue d’être pour mon ennemi le monument de ma douleur, de son crime et du malheur public, qui ne regardera ce retour moins comme un rappel honorable, que comme une punition éternelle ? Placée d’ailleurs comme elle est, en vue de toute la ville, si on y laisse, je ne dis pas ce monument, mais ce tombeau de Rome avec le nom de mon ennemi, il vaut mieux pour moi chercher un asile dans quelque coin du monde, que d’habiter une ville ou je verrais des trophées érigés contre moi et contre la patrie.

XXXVIII. Comment aurai-je le cœur assez dur, le front assez impudent, pour voir avec tranquillité dans une ville dont le sénat, d’une voix unanime, m’a tant de fois nommé le libérateur, ma maison démolie, non par un ennemi particulier, mais par l’ennemi public ; et sur le sol de ma maison un nouvel édifice élevé par ses mains et placé devant tous les yeux, comme un éternel sujet de larmes pour les bons citoyens ! Spurius Mélius avait aspiré à la souveraineté : sa maison fut rasée ; qu’en fut-il autre chose ? Le peuple romain jugea que Mélius avait mérité son sort ; le nom même d’Équimélium, donné à cette place, atteste à jamais la justice de sa punition. La maison de Spurius Cassius fut démolie pour la même cause, et dans l’emplacement fut construit le temple de Tellus. Dans les prés dits de Vaccus était la maison d’un citoyen de ce nom, qui fut confisquée et rasée, pour éterniser la bonté de son crime par le nom même du lieu. M. Manlius, après avoir renversé les Gaulois du Capitole, ne put se contenter de la gloire que lui avait méritée ce grand service ; il fut condamné comme ayant aspiré à la tyrannie : vous voyez maintenant la place de sa maison rasée, et couverte de deux bois sacrés. C’est la plus grande punition que nos ancêtres aient cru devoir infliger à des citoyens coupables de parricides ; et je la subirais comme eux, j’en porterais comme eux les marques, au risque de paraître aux yeux de la postérité, non le destructeur, mais le chef et l’auteur des conspirations et des crimes ! Comment, pontifes, la majesté du peuple romain souffrirait-elle cette honteuse contradiction ? le sénat subsiste, vous êtes à la tête du conseil public ; et la maison de M. T. Cicéron, confondue avec celle de Fulvius Flaccus, serait à jamais comme elle un monument de la justice publique ? Flaccus, pour avoir troublé l’État avec C. Gracchus, fut mis à mort par l’ordre du sénat : sa maison fut rasée et le terrain confisqué : peu après, Q. Catulus y fit construire un portique avec le butin enlevé aux Cimbres. Mais ce brandon, cette furie de Rome n’eut pas plutôt pris, envahi, subjugué cette ville infortunée, sous les auspices d’un Pison et d’un Gabinius, qu’on le vit à la fois démolir le monument d’un grand homme qui n’était plus, et réunir ma maison avec celle du séditieux Flaccus ; résolu, par mépris pour le sénat qu’il opprimait, de faire subir à celui que les sénateurs avaient nommé le sauveur de la patrie, la même peine dont cet auguste corps avait flétri le destructeur de la patrie.

XXXIX. Souffrirez-vous, pontifes, que sur le mont Palatin, dans le plus beau quartiers de Rome, ce portique immortalise, aux yeux de toutes les nations, les fureurs tribunitiennes, la trahison consulaire, la cruauté des conjurés, les malheurs de la république et ma propre douleur ? Ah ! vous voudriez sans doute, aimant la patrie comme vous